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Rencontre avec <i>Maïlys Cantzler</i>, fondatrice de <i>The Phone</i> - Doolittle
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Rencontre avec Maïlys Cantzler, fondatrice de The Phone

“The Phone, c’est simplement un téléphone”, peut-on lire sur Instagram. Autrement dit : aucun accès à internet, ni aux réseaux sociaux. C’est en réaction à la sur-addiction de son fils mais aussi au cyberharcèlement dont de nombreux adolescents sont victimes que Maïlys Cantzler a eu l’idée de cet appareil qui autorise uniquement les appels et les sms. Son objectif : sauver une génération.

Il semblerait que The Phone soit née d’une discussion entre vous et votre fils aîné âgé de 16 ans, Viktor Bach, avec qui vous avez monté le projet. C’est bien ça ?

Tout à fait, c’est une prise de conscience personnelle que j’ai vécue l’an dernier de manière très intense chez mon fils de 10 ans, Tom. J’ai réalisé qu’il était tombé dans une spirale de sur-addiction. Mais finalement, ce n’était que la confirmation de tout ce que je voyais déjà autour de moi, chez les autres parents d’enfants du même âge. C’est-à-dire une déviance du smartphone qui, selon moi, devenait de plus en plus ridicule, à un âge de plus en plus jeune. En gros, on met entre les mains d’enfants des Ferrari à 800 euros, leur donnant accès à un monde qu’ils ne maîtrisent absolument pas et surtout, qui éveillent des comportements addictifs. Et je me tue à leur dire : ce n’est pas de leur faute. Tout est pensé pour rendre le smartphone “indispensable” : la beauté de l’objet, la com’ qui tâche d’exclure ceux qui n’en ont pas, les applications… Tout ce que j’appelle les “recettes gourmandes”. Ils finissent par être prisonniers de tout cela. Lorsqu’ils sont sur Instagram, ils ne voient même pas le temps passer. Ils sont aux toilettes avec leur smartphone, une heure après, ils y sont toujours… 

Vous parlez même de “poison”… 

Il n’y a qu’à voir la manière dont les smartphones donnent accès à des contenus totalement inadaptés. La manière dont ils déforment totalement la vision positive que les enfants peuvent avoir d’eux-mêmes et du monde. On leur enlève toute naïveté ! Par exemple, ils tombent très facilement sur des contenus pornographiques qui suraccentuent le sexisme et qui gâchent complètement l’idée qu’on peut se faire de l’amour quand on a entre 10 et 12 ans. C’est dramatique.

En termes de comportement, qu’est-ce que vous avez pu observer ? 

Ce sont des jeunes qui tournent en boucle, qui ont les yeux fatigués, qui sont déconnectés de la réalité et remplis de morosité. Car finalement, tout ce qu’on leur présente est loin d’être réjouissant. C’est une question que je me suis d’ailleurs posée – et que j’ai posée à mon fils aîné qui, à l’époque, avait 15 ans – au moment où on enchaînait entre la réforme des retraites, la guerre en Ukraine… Je me suis dit : “Dès qu’ils ouvrent leur smartphone, ils reçoivent des images et des nouvelles négatives. Comment font-ils pour se projeter positivement dans l’avenir ?”. D’autant qu’ils sont moins armés que nous ! Prenez une personne de 20-30 ans aujourd’hui, elle s’est construite avant le smartphone – bien que de nombreuses personnes de cet âge souffrent de dépression due à une surconsommation numérique – ce dernier est venu lui apporter des “plus”. Mais les jeunes enfants n’ont rien construit avant. Au contraire, ils se construisent avec les smartphones et gobent tout ce qu’on veut bien leur donner avec cet appareil. Par exemple, ils n’apprennent pas à se forger leur propre opinion. 

“Pendant quelques mois, il a été sans son smartphone, d’un coup je l’ai vu renaître. Il recommençait à faire plein de choses, il dormait mieux…”

Dans une récente interview, vous mentionnez le cyberharcèlement dont a été victime votre fils… 

Un soir, je le récupère de son cours de judo et il s’effondre en larmes, me disant qu’il a peur. Abasourdie, je lui demande ce qu’il se passe. Il me raconte que depuis trois jours, il reçoit des photos choquantes – de revolvers, de couteaux ensanglantés – accompagnées de messages disant qu’on allait tuer sa mère puis lui… Je lui prends immédiatement son téléphone et contacte le numéro. Je tombe sur une voix d’adulte, un homme à qui je dis : “Je suis la maman du jeune garçon à qui vous envoyez des photos, sachez qu’il m’en a parlé et que je vais aller porter plainte.”  Il me répond qu’il n’a jamais envoyé de photos et qu’au contraire, c’est mon fils qui lui en envoyait. On s’est finalement aperçu que les deux avaient été hackés par une tierce personne qui, dans l’ombre, envoyait ces contenus… 

Comment ça s’est fini ? 

Il se trouve que, peu de temps après ça, Tom (son fils, ndlr) a cassé son téléphone. L’histoire était réglée… Il venait de l’avoir en septembre. Donc : sur-addiction, plus cette histoire de harcèlement, j’ai dit stop. Plus de smartphone. Pendant quelques mois, il a été sans et c’est là que je l’ai vu renaître. Il recommençait à faire plein de choses, il dormait mieux… 

Du coup, en quoi va consister ce téléphone non-connecté ? 

D’un point de vue esthétique, il va ressembler à un smartphone, avec un écran tactile. C’est hyper important, car personne n’a envie de rédiger les sms en appuyant trois fois sur la touche A pour faire C… On y intègre notre propre système d’exploitation, avec un graphisme sympa et original. On a même notre propre identité sonore ! Et sinon, le principe est assez simple : vous pouvez émettre ou recevoir des appels et vous ne pouvez qu’écrire ou lire des sms, sans aucune connexion internet. Attention, nous ne sommes pas des militants anti-internet, anti-nouvelles technologies, anti-progrès. Nous voulons simplement que le smartphone soit utilisé par l’enfant de façon modérée et accompagnée. 

“Il y a un mimétisme auquel les parents doivent être vigilants : « si papa et maman l’utilisent tout le temps, c’est normal que je  fasse pareil ».”

À quand la disponibilité ? 

Actuellement, on est sur la préparation du site puisque les pré-ventes seront ouvertes dès le mois d’avril. La mise à disposition est prévue pour juin, avec un premier groupe qui l’obtiendra en avant-première : 250 personnes, qu’on appelle des “pionniers”. Ce sont des personnes qui participent à l’opération de crowdfunding (qui débute à 100 euros, le prix du téléphone). Notre objectif, c’est de les faire rentrer dans un groupe d’ambassadeurs car tous peuvent nous apporter des contacts et nous aider à étendre le projet The Phone. Une fois qu’une maman ou un papa aura acheté un téléphone non-connecté, il ou elle aura envie que tous les autres enfants, dans le même environnement que leur enfant, aient le même objet. 

À ce propos,  ne croyez-vous pas qu’une remise en question de la part des parents est cruciale si l’on veut pouvoir guider et accompagner correctement les enfants dans leur utilisation du téléphone ? 

Bien sûr que oui ! Au moment du Covid, on l’a bien vu : le smartphone était une solution de facilité. Lorsque le parent veut checker vite fait ses emails à table, il est bien content que l’enfant soit lui aussi occupé avec son smartphone. Il y a un espèce de mimétisme auquel les parents doivent être vigilants : “si papa et maman l’utilisent tout le temps, c’est normal que je fasse pareil”. Personnellement, depuis que j’ai lancé ce projet (un an, ndlr), je suis devenue très sensible à ma propre utilisation. Si j’utilise beaucoup mon smartphone en journée pour le travail, en revanche, il n’est JAMAIS avec moi à table. Même quand je vais à un dîner chez des amis, désormais, il reste dans mon sac à main posé dans l’entrée. Pour encourager leurs enfants, les parents vont, selon moi, naturellement commencer à doser leur usage. Si notre cible prioritaire avec The Phone, c’est les jeunes – une génération qu’on risque de perdre si on n’agit pas maintenant – c’est aussi les adultes. Les deux sont concernés, c’est certain. 

Rencontre avec <i>Maïlys Cantzler</i>, fondatrice de <i>The Phone</i> - Doolittle

Maïlys Cantzler, Viktor Bach (à droite) et Marius Colomb (au centre).

Rencontre avec <i>Maïlys Cantzler</i>, fondatrice de <i>The Phone</i> - Doolittle
Rencontre avec <i>Maïlys Cantzler</i>, fondatrice de <i>The Phone</i> - Doolittle
  • Pour plus d’informations sur The Phone, n’hésitez pas à vous rendre sur le site et à suivre leur compte Instagram
Par Ana Boyrie