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Rencontre avec <i>Fanny Vella</i>, illustratrice de <i>“Cendrillo & Cendrillon”</i> - Doolittle
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Rencontre avec Fanny Vella, illustratrice de “Cendrillo & Cendrillon”

Depuis la nuit des temps, les contes de fées proposent en grande majorité des personnages principaux masculins et des personnages féminins passifs. C’est ainsi que Barbara et Stéphane Le Viet ont lancé les éditions Kif-Kif qui revisitent ces histoires traditionnelles en plaçant hommes et femmes sur un pied d’égalité. Leur premier titre “Cendrillo & Cendrillon”, qui paraîtra le 8 mars prochain, a été illustré par Fanny Vella. Elle nous en dit quelques mots.

Comment ce projet est venu à toi ? 

C’est allé hyper vite ! Ils m’ont contactée en octobre et j’ai immédiatement flashé sur le projet, ainsi que sur le couple que forment Barbara et Stéphane Le Viet (cofondateurs de Kif-Kif éditions, ndlr). J’ai adoré leur façon de présenter et de croire en ce projet. Ils y mettaient un tel sens, que c’était pas juste un outil de divertissement. Il y a vraiment derrière des notions et des valeurs qui me collent à la peau, que j’essaie d’incarner dans mes dessins. 

Ce projet est parti d’un constat : dans les contes, 70% des personnages principaux sont masculins tandis que 80% des personnages féminins jouent des rôles passifs. Un fait dont tu étais consciente ? 

Je suis issue d’une formation littéraire. Et j’ai eu l’occasion d’étudier les contes, leurs morales, tout ce qui est spécifique à ce qu’on peut leur reprocher aujourd’hui. Ces cours me passionnaient mais j’ai fini par laisser ça un peu de côté, en me disant : “Il n’y a plus rien à tirer de ces contes”. Sauf qu’une réalité persiste : toutes les thématiques qui me tiennent à cœur, comme faire coexister une multitude de diversités, on se confronte parfois à une génération qui n’est pas prête à tout remettre en question. Personnellement, j’ai envie de m’impliquer dans des bouquins qui vont par exemple mettre en scène des enfants non-binaires. Or, je sais qu’il y a une génération qui n’est pas encore prête à lire ça.

Kif-Kif Éditions - Doolittle

Kif-Kif Éditions

Rencontre avec <i>Fanny Vella</i>, illustratrice de <i>“Cendrillo & Cendrillon”</i> - Doolittle

C’est là qu’intervient la collection Kif-Kif ? 

Exactement. Plutôt que de monter les gens les uns contre les autres, l’intelligence de Kif-Kif, c’est de les rassembler sur quelque chose qu’on a toutes et tous dans notre patrimoine commun, quelle que soit notre génération. Or, ces contes, on les connaît tous. Le but était donc d’en faire quelque chose qui puisse brasser les générations. On n’est pas là pour dire qu’on change tout, que l’histoire n’a plus rien à voir. On est en train de dire : “Venez, on essaie de s’interroger. Si finalement, l’héroïne était un héros et que ce héros traversait exactement les mêmes choses. Quel type d’imaginaire et de récit on mettrait entre les mains de nos enfants ? Et à quel point peuvent-ils se projeter ?”. En en parlant avec ma famille, c’est la première fois que je voyais leurs yeux s’illuminer, en disant : “Ce projet-là, on le suivra” (rires). 

C’est donc un projet qui concilie deux chemins de pensée… 

C’est se tendre la main. Aux personnes qui se disent ‘on a tout perdu de ce qu’on avait’ ou ‘les choses changent trop vite’, on est en train de leur dire : “Attendez, regardez, il y a encore des choses à garder dans ces contes. Tout n’est pas à jeter.” D’autant que cet imaginaire-là, c’est un imaginaire qui m’a fait rêver quand j’étais gamine. Certes, aujourd’hui, je comprends en quoi il a pu influencer sur des aspects problématiques et c’est top d’avoir mis le doigt dessus ! Il n’empêche que ça reste des contes dont la magie permet à tout un chacun de s’identifier. Le but, c’est que tout un chacun puisse s’identifier au personnage. La seule chose qui manquait, c’est la représentation d’autres genres. Dans “Cendrillo”, on rend très vulnérable ce héros qui subit, qui est en souffrance, qui est sensible – on le voit plusieurs fois en train de pleurer dans le conte – un parti pris qu’on ne voit pas souvent. Et dans les autres contes qui vont placer des filles dans les rôles masculins, vous allez voir des voleuses, des héroïnes un peu roublardes, un peu malignes… Des rôles qui étaient systématiquement donnés aux garçons.

Kif-Kif Éditions - Doolittle

Kif-Kif Éditions

L’histoire du conte ne change pas, donc ? 

La base même, non. Il y a modification dans le sens où le texte de Barbara déborde d’humour. Elle l’a également transformé afin qu’il soit à la portée des enfants d’aujourd’hui. On a donc mis de côté la prose initiale afin d’enrichir le conte, qu’il soit plus actuel. Ce qui pourrait le rendre traditionnel, c’est qu’il est tout en rime, faisant références aux contes classiques qui, initialement, étaient purement oraux – c’est d’ailleurs comme ça qu’ils ont pu traverser les générations. Aussi, il n’y a pas que le héros ou l’héroïne qui change. Dans “Cendrillo”, l’affreuse belle-mère devient un beau-père, les demi-sœurs deviennent des demi-frères, le prince devient une princesse, etc. On parle du héros qui change, mais en réalité, tout change. 

Autre changement important : l’inclusion de personnages de couleur. Avec la marraine, la bonne fée qui devient le parrain fée… 

Oui, c’était un vrai souhait de ma part. C’est quelque chose que j’essaie d’insérer tout le temps, quels que soient les ouvrages que je réalise. Par contre, je ne dessine pas des personnages en me disant à la dernière minute : “Ah tiens, lui ou elle sera noir”. Le choix est important, la représentation est importante. On voit encore trop peu des représentations valorisantes de personnes de couleur…  C’était donc une évidence pour moi que cette représentation s’illustre dans l’un des rôles les plus chouettes du conte. 

Stéphane et Barbara Le Viet, cofondateurs de Kif-Kif Éditions - Photo Kif-Kif Éditions - Doolittle

Stéphane et Barbara Le Viet, cofondateurs de Kif-Kif Éditions - Photo Kif-Kif Éditions

Comment as-tu appréhendé le projet au niveau des illustrations ? 

Quand j’ai compris que Barbara et Stéphane visaient un public plutôt jeune, j’ai proposé de partir sur un univers coloré et fun. Je suis issue de l’univers de la bande dessinée qui suggère beaucoup d’expressivité sur les personnages. Ils ont donc des émotions très marquées sur le visage, il y a quelque chose d’assez cocasse lorsqu’ils sont en difficulté, ça reste un dessin enfantin. Autrement dans l’ensemble, j’ai eu carte blanche sur ces illustrations ! 

On sent que tu as associé l’aspect intemporel des contes à une patte artistique plus contemporaine. Ce qui donne un nouveau souffle à l’histoire… 

Oui, c’est vrai ! Mais tout en gardant l’univers temporel de Cendrillon. Le château par exemple, reste un château de Disney. Pour les bals, je me suis clairement inspirée d’une scène dans Anastasia, tout simplement parce que j’aime beaucoup trop ce film d’animation (rires). D’ordinaire, j’aime que les choses soient cohérentes. Or là, il n’y a pas besoin. Si dans une même scène, j’ai envie de les habiller avec des vêtements du 17e siècle et du 12e siècle, c’est possible. Ça m’éclate ! Mais je dois reconnaître qu’on est tout de même sur des codes de temporalité qui sont facilement identifiables. On capte tout de suite qu’il s’agit de Cendrillon : avec son petit tablier, son petit sceau, son petit balai. On n’est pas sur une réappropriation ultra moderne, avec une Cendrillon un téléphone à la main… (rires).

Pour les prochains, il y aura “Aladina & Aladin”, “Blanc Neige & Blanche Neige”, “Pinocchia & Pinocchio”… Tu vas également collaborer sur ceux-là ? 

Pour l’instant, il n’y a rien d’officiel mais je vois que l’envie est commune. Seul l’avenir le dira… (rires)

 

  • Cendrillo & Cendrillon”, aux éditions Kif-Kif, disponible en précommande, juste ici.

Crédit photo à la Une : Fanny Vella
Le lien de la campagne ULULE

Par Ana Boyrie