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« Le regard qui pèse sur les jeunes filles est permanent »
Dans l’essai qui vient de paraître Ce que nos filles ont à nous dire aux éditions La mer salée, la journaliste Florence Pagneux puise dans les réponses du questionnaire « Aux filles du temps », réalisé en 2021 auprès de 800 jeunes filles âgées de 13 à 20 ans, pour nous aider à capter l’état d’esprit de cette génération qui avait entre 9 et 15 ans aux débuts de #Metoo. Retour sur les grands enseignements dans cette enquête.
Dès la première page, on prend conscience de la différence de définition entre garçon et fille dans le dictionnaire.
Effectivement, le dictionnaire Larousse a besoin des garçons pour définir les filles mais les garçons se suffisent à eux-mêmes. C’est assez surprenant mais cela permet de comprendre que les inégalités filles-garçons s’enracinent à plusieurs endroits insoupçonnés. Surtout, elles commencent très tôt.
Cette génération a identifié le patriarcat plus tôt que celle d’avant mais on sent une certaine résignation. Pourquoi ?
C’est vraiment un phénomène propre à cette génération qui est consciente des combats féministes à mener mais qui est tout autant victime des inégalités. Cet essai met en lumière ce paradoxe. Il y a des jeunes filles très combatives, qui ont envie de revendiquer leur place alors que d’autres se disent que ce n’est pas pour elles. C’est très parlant quand il s’agit de leur orientation et des études supérieures. 4 jeunes filles sur 10 se disent ne pas être à la hauteur du métier de leur rêve. Je trouve cette résignation douloureuse car elles sont à un âge où l’univers des possibles devraient leur être ouvert. Elles aussi s’auto-censurent, comme bien des générations avant.
Est-ce qu’Internet et les réseaux sociaux sont pour cette génération une réponse au patriarcat ?
C’est à double tranchant. C’est à la fois un formidable outil d’ouverture d’esprit, d’acculturation au langage féministe et de compréhension du monde. Malheureusement, il y a beaucoup de travers : toutes ces images de corps retouchés qui défilent sur Instagram peuvent remettre en question leur assurance, sans parler de l’accès à la pornographie.
Que peut-on apprendre de cette nouvelle génération ?
Il faut passer à l’action ! Pendant des années, on a mis le doigt sur des problèmes, connus depuis longtemps. Mais cette génération nous dit : « Maintenant ça suffit. Il faut vraiment changer le monde ! Il faut faire en sorte que toutes ces paroles se traduisent en actes ». Ces jeunes nous appellent à agir.
Elles savent ce qu’est le patriarcat et utilisent les réseaux sociaux pour le combattre. Pourtant, encore 84% d’entre elles s’interdisent de porter certains vêtements. Comment l’expliquer ?
C’est un des enseignements forts de cette étude. On pensait que c’était une génération très libre en matière de choix vestimentaires. Mais elles sont 84 %, même en dehors de l’école, à s’interdire de porter ce qu’elles veulent. Elles savent qu’elles seront invectivées. Même quand elles portent des vêtements amples, elles reçoivent des remarques des garçons. En fait, elles ont l’impression que cela ne va jamais. Le regard qui pèse sur elles est permanent et systématiquement jugeant et négatif. Dans leur verbatim, elles citent souvent deux mots associés aux garçons : liberté et privilèges. Alors qu’un carcan les empêche d’être autonomes et libres comme eux.
Certains responsables scolaires n’étaient pas d’accord pour évoquer le sujet de la sexualité des jeunes filles dans l’étude. C’est encore tabou ?
Selon un rapport de l’inspection de l’Education nationale, les cours d’éducation à la sexualité ne sont pas vraiment une réalité sur tout le territoire ni à tous les niveaux scolaires. Il y a un vrai manque. Pendant longtemps, l’éducation à la sexualité a été considérée comme un moyen de prévention contre les MST et les grossesses non-désirées. Pourtant, le sexe, c’est aussi les sentiments, les relations entre les filles et les garçons ou le consentement, mot essentiel aujourd’hui.
6 filles sur 10 ont déjà eu un rapport sexuel sans en avoir vraiment envie.
Selon une infirmière du planning familial, beaucoup de jeunes filles lui disent qu’elles acceptent l’acte sexuel juste pour être tranquille… Le chiffre pourrait donc être plus élevé. L’éducation est vraiment la clé, avec des moyens d’action comme réapprendre le consentement, renforcer les cours d’éducation à la sexualité et instaurer le dialogue en famille. Finalement, leur outil principal reste Internet mais ce n’est pas suffisant.
L’étude révèle que 4 jeunes hommes sur 10 considèrent qu’une relation sexuelle sans consentement n’est pas un viol. Comment les jeunes filles réagissent face à cela ?
Dans un lycée, j’ai assisté à un atelier sur la sexualité, sur la base du volontariat, dans lequel il n’y avait que des filles. Avec des garçons, ensemble, ils auraient pu aborder des sujets importants. Les filles regrettent qu’ils n’osent pas s’immiscer sur ce terrain. Même chose avec les règles qui les concernent aussi. Tout ce qui concerne le corps des femmes les concerne. Plus on multipliera les points d’accès à la découverte du corps de l’autre, des sentiments de l’autre, avec du vocabulaire adapté et des intervenants formés, plus on permettra aux garçons et aux filles d’être sur un même pied d’égalité et d’avoir des approches de la sexualité qui se ressemblent.
Dernier chiffre alarmant : 80 % des jeunes filles sont concernées par le harcèlement de rue. Manque-t-on d’outils pour lutter contre ?
Les jeunes filles disent qu’à partir du moment où elles se féminisent, elles sentent en permanence le regard d’autrui quand elles sortent dans la rue, un regard pas toujours agréable d’ailleurs. Elles en souffrent vraiment. C’est une charge mentale supplémentaire. Je pense que ce problème n’est pas assez pris en considération par les adultes. Mais ça commence à bouger. La RATP a lancé une campagne de sensibilisation sur TikTok avec l’influenceuse Sarah La Crieuse connue pour ses bruits d’animaux pour faire fuir les harceleurs de rue. Le fait qu’une grande institution s’implique traduit une prise en compte du sujet.
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