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<i>« Le nombre de parents qui pratiquent des violences est effarant »</i> - Doolittle
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« Le nombre de parents qui pratiquent des violences est effarant »

Entretien avec Clémence Lisembard, responsable des missions sociales de la Fondation pour l’Enfance, qui lutte pour sensibiliser et faire évoluer les mentalités au sujet des violences éducations ordinaires (VEO). Elle nous alerte sur une situation préoccupante et décrypte pour nous les résultats de son baromètre. 

« 79% des parents reconnaissent utiliser encore différentes formes de violences éducatives ordinaires ». C’est le constat de l’enquête menée par la Fondation pour l’Enfance et l’IFOP sortie en octobre dernier. De la fessée à la gifle, en passant par les privations et autres punitions, manipulations, menaces, insultes ou bousculades, les parents, même ceux remplis de bonnes intentions, utilisent encore une panoplie de violences physiques et psychologiques vieilles comme le monde pour asseoir leur autorité et obtenir gain de cause. Pourtant, depuis 2019, elles sont interdites par la loi et les études scientifiques sont claires : au-delà des souffrances qu’elles engendrent, les violences éducatives ordinaires peuvent entraîner des conséquences désastreuses sur le développement de l’enfant. 

Clémence Lisembard, pouvez-nous expliquer ce qu’est concrètement une violence éducative ordinaire ?  

Les violences dites éducatives ordinaires sont toutes ces violences qui sont légitimées par l’éducation, dans le but de donner un cadre à son enfant. Nous avons réalisé que toutes ces violences qui sont physiques et psychologiques, était très impactantes pour l’enfant à court, moyen ou long terme. En donnant une éducation violente, de nombreuses études ont montré que cela l’empêche de réguler ses émotions, génère chez lui beaucoup de stress, puis peut avoir des impacts sur sa santé mentale, engendrer des problèmes d’obésité. Elles sont aussi parfois le début vers d’autres violences, d’autres maltraitances. C’est le même effet sur les enfants qu’une femme en situation de violences conjugales. Cela va augmenter la sécrétion de cortisol, l’hormone du stress, et peut aller jusqu’à aboutir à un phénomène de dissociation : on n’est plus capable de réagir. L’enfant, d’ailleurs, dans une situation de violence conjugale est légalement considéré comme co-victime. 

Qui a observé ces impacts ? 

Des scientifiques, des psychologues, des médecins, des neuropsy. On s’est rendu compte que cela avait un impact sur des zones du cerveau, sur le cortex frontal et sur le développement physique de l’enfant. Sur ce sujet, il y a des études menées dans le monde entier. 

Existe-t-il une différence entre les violences physiques et psychologiques ?

Ce ne sont pas les mêmes, en revanche, elles sont toutes deux légitimées par un souci d’éducation et entraînent des conséquences sur l’enfant. Hurler très fort ou lui mettre une claque, dans les deux cas, cela crée un impact sur l’enfant.

Que penser du débat actuel sur le time out ? 

Le Time out c’est le fait d’enfermer l’enfant dans une pièce quand il fait une bêtise. Déjà, on va souvent le tirer par le bras, donc ça commence par une violence physique. Il y a des personnes médiatiques qui diffusent des informations fausses et alimentent ce courant qui dit que l’autorité parentale nécessite de taper du poing sur la table et de ne pas se laisser faire. Notamment une psy, dont je n’ai pas très envie de citer le nom, qui part du principe que ce qu’elle voit en cabinet s’applique partout. Elle parle de rétablir une autorité parentale. Elle affirme, et ça c’est très choquant, qu’il est bénéfique d’enfermer son enfant dans une pièce quand il n’écoute pas, peu importe l’âge, peu importe la durée. Imaginons-nous il y a vingt ans et remplaçons le mot « enfant » par « femme », on serait tous absolument outrés aujourd’hui. Mais il y a tout un courant qui prône une forme de parentalité ou le rôle du parent est ultra autoritaire… C’est aussi contre tout ça qu’on se bat. On a les connaissances scientifiques pour dire qu’ils ont tort. En revanche, de demander à un enfant de huit ans d’aller s’isoler dix minutes dans sa chambre pour se calmer et réfléchir parce qu’on sent que la pression monte et qu’on va s’énerver, ce n’est pas grave. 

Tous les enfants réagissent-ils de la même façon ? 

Oui, c’est biologique, tous les enfants dans ce type de situation vont générer ces hormones de stress. 

Et promettre une récompense à un enfant s’il accepte de faire ce qu’on lui demande ? 

C’est une forme de manipulation. Il y a l’idée de piéger, d’avoir ce qu’on veut en lui promettant quelque chose. Notre axe c’est de dire : « ne faisons pas aux enfants ce qu’on ne ferait pas à un adulte ». Je ne me vois pas dire à mon collègue : « Si tu me rends le dossier à temps, je ramène des Mars demain ». Quand on le transpose comme ça, cela fait sourire. Pourquoi le faire avec des enfants ? Bien sûr, il y a des choses sur lesquelles il faut être intransigeant. S’il faut manger les brocolis ce soir, il faudra manger ces brocolis, sauf si bien sûr, l’enfant a des allergies alimentaires ou autre. Mais la manipulation, c’est une forme de violence psychologique.

Pour lutter contre ces violences éducatives ordinaires, vous avez sorti un baromètre. Comment l’avez-vous mis en place ?  

Il y a une bonne dizaine d’années que la Fondation pour l’enfance travaille sur ce sujet des violences éducatives ordinaires avec des campagnes de sensibilisation télé ou par voie d’affichage. En 2019, il y a eu le vote d’une loi qui vient symboliquement dire que l’autorité parentale s’exerce sans violence psychologique ou physique. Cette loi est très importante, mais on s’est rendu compte que cela ne suffisait pas. Nous avons constaté que les parents ne savaient pas forcément ce qu’était ou n’était pas une éducation violente. C’est aussi pour ça qu’il y a une question dans ce baromètre avec une liste des violences éducatives ordinaires. Notre objectif c’était de comprendre où en étaient les pratiques et quels étaient les besoins et les connaissances des parents. Puis, une cible représentative a été sélectionnée pour participer. C’est un panel qui représente la société française. Cela a été mis en place avec l’institut de sondage IFOP. Et pour les questions, nous les avons travaillées en lien avec les experts sur le sujet. 

Ce sont les parents, auteurs des violences, qui répondent aux questions. Le baromètre est-il fiable ? 

Oui, il est fiable. C’est vrai que le biais cognitif ne peut jamais être totalement écarté. C’est quelque chose qu’on avait en tête depuis le début et c’est un travail que nous avons mené attentivement avec l’IFOP. Je pense qu’on a évité un certain nombre de biais possibles sur ce type de questions. Mais c’est un baromètre, ça reste de la prise de température. On a fait en sorte que la tournure des questions soit non culpabilisante. Notre objectif n’était pas de savoir combien de fessées vous avez donné et si vous n’avez que ça pour vous en sortir avec vos enfants. Nous sommes tous parents à la Fondation pour l’enfance et nous avons conscience que c’est compliqué. Nous avons toujours le souhait d’être aux côtés du parent plutôt que de s’y opposer. 

<i>« Le nombre de parents qui pratiquent des violences est effarant »</i> - Doolittle

Une BD soutenue par la fondation pour l'Enfance

Etiez-vous étonnée par les résultats ? 

J’étais étonnée de voir qu’un parent sur deux avouait être en demande d’accompagnement. Je trouve que c’est énorme à l’échelle d’une société et c’est une preuve terrible que nos politiques publiques ont raté quelque chose. Sinon, nous sommes effarés de voir qu’il y a toujours autant de parents qui pratiquent les violences. Etonnés, je ne sais pas si c’est le terme. Inquiets, tristes, plutôt qu’étonnés. Malheureusement. 

Quels enseignements tirer de ce baromètre ? 

La loi de 2019 aurait peut-être un effet sur la question des violences physiques. On constate par rapport à des études plus anciennes que les violences physiques ont reculées. Cependant, le point négatif, c’est que les violences psychologiques ne sont pas comprises, pas identifiées. Beaucoup de parents ignorent que ce sont des violences. C’est très problématique car ce sont celles-ci qui sont le plus pratiquées. On retient donc que les parents, en majorité, connaissent la loi mais qu’il y a un réel besoin de soutien et de cadrage pour réussir à poser des limites sans violence. 

Quels pays vous inspirent en matière de prévention des violences éducatives ordinaires ? 

Il y a tous les pays scandinaves, comme toujours, qui sont plus en avance que nous sur ces sujets-là. Ils ont été beaucoup plus ambitieux et ont fait reculer ces violences de manière drastique. Après il y a aussi une question de mentalité. En France, le sujet de la parentalité est tabou et souvent on le laisse aux parents. Pourtant, on a des exemples à suivre. Au Canada aussi, notamment au Québec où tous ces programmes sont déployés sur le territoire et sont très accessibles. Là-bas, la position de l’enfant a changé. Il n’est plus considéré comme un petit être à dompter, c’est un être humain à part entière à son stade de développement, qu’on accompagne tout au long de la vie. Il y a vraiment un changement de mentalité à opérer qui est en train de se faire chez nous. On sait que c’est possible.

Comment peut-on changer les mentalités ?

Au Canada, c’est passé par de nombreuses études. Par des lois aussi, des politiques publiques, des investissements. On commence à le faire nous aussi avec la législation, le congé paternel qui augmente, la commission des 1000 premiers jours. Ce sont des avancées importantes et ce sont les stades par lesquels sont passés les autres pays. Il faut que la France se mette à ce niveau-là, qu’elle établisse des recommandations claires, comme on a su le faire pour « Manger cinq fruits et légumes par jour », ne pas boire au volant. C’est une question de santé publique ces violences sur les enfants, cela touche tout le monde. 

Quelles solutions s’offrent à un parent qui cherche de l’aide ? 

Aujourd’hui, il y a plein d’aides différentes proposées et c’est presque ça le danger. Ils vont dans une librairie et ils trouvent un rayon rempli d’outils. Ils tapent sur Internet, il y a plein de professionnels, de coachs. Il y a beaucoup de ressources sur ces sujets écrites parfois par des scientifiques à qui on peut faire confiance, mais aussi par des coachs plus ou moins autoproclamés et les parents sont perdus. Concrètement, sur les choses fiables il y a des numéros d’écoute qui sont mis en place notamment par la Fédération des parents et des éducateurs. Il y a des ouvrages d’experts qui ne s’appuient pas que sur leur expérience personnelle en cabinet par exemple et vont chercher plus loin. On a beaucoup de psychologues, de neuropsy qui effectuent des études et veulent diffuser une information claire et complète. La grosse difficulté c’est qu’il n’y a pas de référentiel. Santé publique France a sur son site un index avec les programmes qui sont évalués. On a bien conscience que les parents ne vont pas visiter leur site. Ils vont souvent s’adresser à des programmes qui sont proches de chez eux qui peuvent aussi être dispensés par des gens qui n’ont pas l’expertise. Il faut permettre aux parents d’y voir clair, que ce soit sur ces questions de numéros d’appels, de ressources documentaires, de programmes de soutien. Cela passe aussi par des ateliers pour les parents, portés par des animateurs certifiés, qui utilisent des méthodes basées sur des concepts de non-violence. 

Comment faire pour donner une éducation non violente à son enfant ? 

Ce n’est pas du tout une éducation laxiste comme ce qui est dit parfois dans les médias. Un des premiers principes c’est que l’enfant ait un cadre. Il faut qu’il sache ce qu’il a le droit et pas le droit de faire. C’est très violent pour un enfant de ne pas avoir de cadre. Il lui faut quelque chose de très lisible. Evidemment, si l’enfant n’obéit pas ou fait quelque chose de mal il faut le mentionner, lui expliquer, lui demander de réparer. On ne doit pas laisser l’enfant tout faire, cela fait des enfants très perturbés. Il faut juste essayer d’avoir des actions qui sont non violentes. Ce que nous prônons c’est de prendre les besoins de l’enfant comme point central. Bien souvent on imagine que l’enfant est un petit adulte qui va avoir les mêmes réactions que nous. Mais pas du tout. L’enfant n’a pas le cerveau développé comme nous, il n’a pas la même compréhension des choses. Il n’est pas capable de réguler ses émotions et jusqu’à un certain âge d’avoir une intention de manipuler. On donne l’exemple de l’enfant qui fait tomber sa tétine de sa poussette. Son objectif, ce n’est pas d’énerver Papa ou Maman. Il teste la gravité, trouve ça rigolo et quand il fait tomber sa tétine, elle remonte ! L’enfant part de son échelle de développement. Un parent qui connait les étapes clefs du développement de l’enfant, c’est un parent qui va mieux agir, conformément aux besoins de l’enfant. Je ne vous parle pas des parents volontairement maltraitants, je parle des parents qui cherchent à bien faire. Si on se place toujours du côté de l’enfant, tout devient plus clair !

Et au contraire, que dire aux parents qui tentent de donner à leurs enfants une éducation non violente et qui subissent des réflexions du type : « tu vas en faire un enfant dépendant, capricieux »… 

Pour le coup, eux, ils ont plein d’arguments. Je sais que c’est une catastrophe ! En France, l’éducation est de l’ordre de l’intime et en même temps, tout le monde se permet de commenter. Un parent, qui prend son bébé dans les bras parce qu’il pleure peut entendre sa belle-mère ou sa mère lui répondre qu’il va en faire un enfant dépendant. C’est prouvé qu’un enfant petit qui pleure a juste besoin d’être rassuré et qu’un enfant rassuré c’est derrière un adulte qui est beaucoup plus confiant dans ses choix. Toutes ces remarques désobligeantes, elles trouvent réponse dans les éléments scientifiques. A la remarque : « Tu vas en faire un enfant roi ». C’est le contexte sans limite qui en fait un enfant roi. Un enfant qui reçoit une éducation non violente et a un cadre et qui sait précisément où il peut aller ou non, c’est un enfant qui sera hyper stable et sûr de lui. Dans la vie nous avons tous un cadre et nous n’avons pas besoin de nous taper dessus pour y arriver. C’est ce qu’on essaye de mettre en avant dans notre BD De quoi as-tu besoin ?! pour montrer aux parents que ces préconisations ne sortent pas de nulle part. L’idée c’est de répondre concrètement aux besoins du parent. C’est notre rêve à la Fondation que cette BD soit distribuée gratuitement notamment dans les « bébé box » données à la maternité. C’est la clef d’informer les familles. Nous sommes convaincus qu’ainsi, les violences pratiquées sur les enfants diminuerons.

Quelles sont les prochaines étapes concernant votre combat contre les violences éducatives ordinaires ? 

On envisage de faire une nouvelle campagne de sensibilisation et on poursuit notre travail de plaidoyer intense et agressif auprès des pouvoirs publics pour qu’il y ait enfin cette campagne nationale. C’est l’étape suivante. Les associations et les acteurs de soutien à la parentalité ont fait le job qu’ils pouvaient faire et aujourd’hui il faut vraiment qu’il y ait quelque chose de grande envergure porté par le gouvernement. Les résultats on les a publiés largement pour l’information du grand public, on les a transmis aux différents ministères et députés, il y a une délégation des droits de l’enfant qui s’est créée à l’Education nationale et on est en lien avec eux. On a mis en ligne un plaidoyer avec une vraie ambition de mettre en place un plan national de formation des professionnels. À côté de ça, il n’y a pas eu de campagne de santé publique, pas de grand plan de formation des professionnels. C’est ce qu’on demande aujourd’hui. Nous sommes à un moment clefs ou il faut poursuivre le travail amorcé. C’était d’ailleurs la volonté du président. Pendant ses trente dernières secondes à l’entre-deux tours, Emmanuel Macron a dit que les violences faites aux enfants seraient sa priorité : on l’a pris au mot !

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Par Marie Courquin