Menu Fermer
S'abonner
Eve Simonet : <i>« Le post-partum n’est pas une mode ! »</i> - Doolittle
  • Culture
  • Lifestyle

Eve Simonet : « Le post-partum n’est pas une mode ! »

C’est après la naissance de son fils qu’Eve Simonet a trouvé sa vocation : donner la parole aux femmes. Après le succès de sa série documentaire autoproduite, Post Partum, de sa suite, Big Bang Baby, et l’organisation des Club Poussette partout en France, elle lance On.suzane, « une plateforme SVOD collaborative sur des sujets féminins et féministes« . Entretien.

Eve Simonet DR - Doolittle

Eve Simonet DR

Comment est née l’idée de On.suzane ?

Tout a commencé avec mon premier documentaire, que j’ai réalisé après la naissance de mon fils, en 2020. Pendant ma grossesse, j’ai découvert ce mot, « post-partum », que je n’avais jamais entendu avant. Je voulais voir d’autres mères raconter cette expérience, mais il y avait très peu d’infos sur le sujet, rien en audiovisuel. C’est comme ça que j’ai pensé à en faire un documentaire. J’étais développeuse à l’époque, donc pas du tout réalisatrice. Je suis allée à la rencontre de mamans, de papas, de professionnels. En même temps, je parlais de mon propre post-partum sur Instagram. Post Partum est sorti le 8 mars 2022 et il a cartonné. Pendant la tournée, beaucoup de femmes sont venues me remercier, parfois en pleurs, parce qu’elles avaient le sentiment qu’on montrait enfin la vraie vie. En parallèle, j’ai monté le Club Poussette, une association qui organise des rencontres de mamans en post-partum via des groupes Whatsapp. Aujourd’hui, on a plus de 12 000 inscrites, réparties dans 180 villes en France et à l’étranger. Il y a eu un écho, qui montre un réel besoin. Et pour moi, c’est quasiment devenu une mission. On.suzane est le fruit de tout cela.

Quel est l’objectif de la plateforme ?

Les sujets féminins sont peu traités à la télévision, sans doute parce que les directions éditoriales sont encore généralement pilotées par des hommes. On voulait un espace avec des contenus spécifiquement pour les femmes, produits par des femmes. En gros, une plateforme SVOD collaborative, spécialisée sur les sujets féminins et féministes. Le côté collaboratif est important parce que voir et s’informer, c’est déjà énorme, mais après, tu as besoin de parler avec tes pairs. En plus des docus, on propose un feed avec lequel tu peux échanger, un peu comme Discord. Suzane, en plus d’être mon prénom préféré, colle bien à nos ambitions internationales. Sept documentaires originaux sortiront cette année. On abordera les règles et le flux libre instinctif, il y aura un docu sur la naissance respectée où on va parler d’accouchement à domicile, un autre sur les seins. L’année prochaine on sort neuf films, et l’année d’après, douze. On est à fond.

Comment les réalisatrices sont-elles choisies ?

Généralement, on me contacte. J’ai lancé un appel à projets en septembre et on a reçu des centaines de propositions. Judicaëlle Perrot, notre directrice de développement, reçoit les projets et ensuite on organise un petit comité de lecture, on rencontre les autrices. C’est souvent une question de feeling. Il y a aussi des femmes de mon entourage, avec qui je partage certains combats.

Est-ce forcément aux femmes de faire le boulot pour combler ce vide ?

Oui, si on veut que ce soit bien traité, c’est à nous de le faire. Tu ne peux pas faire un film d’impact si tu n’es pas concernée par le sujet. Il s’agit aussi de redonner le pouvoir aux intéressées, car ce sont elles qui vont pouvoir mettre le doigt sur ce qui est important. Ce n’est pas une vision sexiste, simplement les hommes ne vivent pas ces thématiques-là. Par exemple, je pense qu’un homme n’aurait jamais pu réaliser Post Partum comme je l’ai fait. Parce que moi, je l’ai vécu dans ma chair. Et comme je n’étais ni journaliste ni documentariste, je n’avais pas de codes en tête, ce qui donne un résultat différent des docus habituels. Pareil pour On.suzane : on choisit des réalisatrices dont ce n’est pas le métier au départ. La seule chose que je demande, c’est de l’anti-neutralité. Je veux qu’on prenne parti dans nos films.

On.suzane a été financé en partie via Ulule. Dans la description du projet tu indiquais que 75% des films français sont réalisés par des hommes, c’est dingue…

Carrément. Et en moyenne, il y a 40% de budget en moins pour les réalisatrices, c’est très révélateur. Quand tu regardes les génériques de films, tu te rends compte que les femmes sont encore reléguées à certains postes, comme maquilleuse ou scripte. Ce sont vraiment des milieux de mecs alors que dans les écoles de ciné, on trouve presque la parité. Donc je me pose la question : où sont passées les meufs ? C’est pour cela qu’en plus des documentaires originaux, on propose aussi des films achetés à d’autres réalisatrices. On voulait un gros hub pour mettre en avant le travail d’autres femmes, à qui on ne laisse pas de place d’habitude.

Tu avais déjà produit Post Partum de manière indépendante, faute de diffuseurs intéressés. On t’a opposé quels arguments ?

C’est devenu très clair dès le départ que des chaines de télé n’allaient pas m’accompagner sur le film. On m’a dit que ça n’intéresserait personne. Ils ne voulaient pas montrer de sang ou de seins, il fallait que ça dure 52 minutes… Il y a des codes super précis pour la télé. J’ai dit non, tout simplement. Ce n’est pas comme ça que je voulais le faire. Avoir quelqu’un pour me diriger, relire mon film, le corriger, le censurer… ça perdait de son intérêt. Pour On.suzane, on a voulu casser ces règles, justement. On n’a pas de charte particulière, pas de contrainte de durée. Le format est libre.

Qu’apportent les témoignages dans ces documentaires ?

C’est en faisant tomber le rideau qu’on pourra engendrer des transformations chez les autres. Tu te reconnais dans les dires de chaque femme et tu te rends compte que ton expérience personnelle est universelle. Ce sont des docus sur l’intime et tu ne peux pas parler d’intime sans te livrer toi-même.

Justement, « l’intime est politique » est un slogan des mouvements féministes. Comment comprends-tu cette phrase ?

Toute la société fait comme si c’était juste un pur bonheur d’avoir un enfant et donc, face aux difficultés, tu penses que tu es anormale, surtout si personne ne parle. Quand tu partages ton expérience et que tout le monde est honnête, tu réalises que les conditions pour accueillir un enfant aujourd’hui ne sont pas optimales, que de gros diktats pèsent sur le corps des femmes, qu’il y a encore des injonctions au moment de reprendre le travail… Tu comprends que ce n’est pas à toi de changer pour rentrer dans cette toute petite case qu’on daigne t’offrir, c’est à la société de porter un regard bienveillant. Ça passe par le dire.

Post Partum a été montré dans des maternités, il a servi de support à des débats. Est-ce que On.suzane a aussi une visée éducative ?

C’est le cœur du projet. L’idée, c’est que les deux premiers épisodes des séries soient mis à disposition de ces structures. Pas gratuitement comme c’était le cas pour Post Partum, parce qu’il y a des frais, mais à un prix dérisoire comme 50 euros. On veut que ça puisse se diffuser dans la société, créer des conversations et générer des changements. C’est vraiment une plateforme d’impact.

Capture d'écran Big Bang Baby DR - Doolittle

Capture d'écran Big Bang Baby DR

Peux-tu parler de Big Bang Baby, ton deuxième documentaire, aussi disponible sur la plateforme ?

C’est la suite de Post Partum, qui couvrait la période de 0 à 18 mois. Passée ce stade, je n’étais plus confrontée aux mêmes problématiques. Ce n’était plus le corps, l’allaitement… j’étais entrée dans une deuxième phase plus psychologique, en termes de reconstruction d’identité. Ça s’est matérialisé en quatre épisodes. Le premier parle de la matrescence, la transformation qu’on subit quand on devient mère ou père. C’est une période de réaménagement psychique, ce qu’expliquent deux neuroscientifiques interviewés dans le doc. Dans le deuxième épisode, on s’intéresse au couple et au baby clash (dont Doolittle a parlé ici ndlr). Gros sujet tabou aussi, c’est la plus grosse épreuve qu’un couple puisse vivre et c’est assez violent. L’épisode 3, sur la famille, donne la parole à nos mères et grands-mères pour comprendre les points de blocage entre les générations et l’évolution entre leurs époques et la nôtre. Le dernier volet parle du travail, de l’urbanisme, du rôle de la société envers les jeunes parents. C’est un épisode plus politique.

Qu’est-ce qu’il manquait à nos mères et grand-mères ?

Beaucoup de choses, clairement. L’information, d’abord : toutes les grand-mères du documentaire ont commencé par me dire qu’elles ne connaissaient pas le post-partum, qu’elles ne l’avaient jamais vécu. Et puis de la considération en tant qu’êtres humains. Ce sont des femmes qui ont dévoué leur vie aux autres et n’ont jamais pris soin d’elles. Elles ont été maltraitées. Je parle surtout de nos grands-mères, mais ça a forcément impacté la génération d’après. Une dame nous a dit : « Je ne voudrais pas que ma petite fille vive la vie que j’ai vécue« . Tu sens la souffrance et tu comprends ce qui est passé sur les épaules de ta mère, et qui passe sur tes propres épaules à toi. Les mères d’aujourd’hui veulent briser tout ça. Dire : « Venez, on se répare, cette situation n’est pas possible« .

Est-ce qu’il y a encore des freins à la libération de la parole ?

Evidemment. On n’en est qu’au début. En 2020, le hashtag d’Illana Weizman avait pris de l’ampleur et on voyait beaucoup d’images, de femmes en slip filet qui se livraient sur leurs difficultés. Aujourd’hui, je ne vois plus trop de photos passer. A l’époque, je prenais la parole parce que j’étais en plein dedans, mais aujourd’hui, mon fils a trois ans et je n’ai plus de bide post-partum à montrer. Donc il faut une continuité de prise de parole. Le souci, c’est que ces mouvements n’arrivent pas à se concrétiser dans la durée. Il y a comme un effet, alors que le post-partum n’est pas une mode du tout. Il y a 750 000 naissances en France chaque année, il faut donner l’opportunité à d’autres femmes de prendre la parole aussi et d’investir ces sujets. Les femmes représentent 36% des prises de paroles dans les médias, ça ne va pas. Ce sont de grandes institutions à changer, puis le regard des gens, aussi. On.suzane peut être un moyen d’ancrer ces débats. Il y a encore du taf. On en reparle dans 10 ans !

Par Amélia Dollah