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<i>Baby Clash</i> : bien se séparer, c’est <i>possible</i> - Doolittle
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Baby Clash : bien se séparer, c’est possible

Pas de surprise, si l’arrivée d’un enfant est source de joie, c’est aussi un chamboulement immense dans la vie d’un couple. Dans son ouvrage “Le baby clash : le couple à l’épreuve de l’enfant”, le Dr Bernard Geberowicz annonce 20 à 25% de séparations les premiers mois après une naissance. Comment déceler un vrai baby clash d’un coup de fatigue ? En cas de séparation, comment préserver le bien-être de l’enfant (de 0 à 3 ans) sans complètement s’oublier ?

Mode de garde, rituels et gestion des émotions, la pédopsychiatre Dr Anne Lorin nous éclaire sur la bonne marche à suivre. Et parce qu’on ne croit que ce que l’on lit, une maman nous raconte son expérience positive et nous montre qu’une séparation peut parfois s’opérer dans de bonnes conditions. Voici les clés.

Qu’est-ce que le baby clash ?

“Je n’aime pas forcément cette notion, je trouve qu’elle n’apporte rien, commence le Dr Lorin. Dire qu’il y a des tensions dans un couple à la naissance d’un bébé, c’est d’une banalité affligeante et ça existe depuis la nuit des temps ! Forcément, c’est une période riche en chamboulements. L’adulte ne vit plus uniquement pour lui et fait face à de nombreux obstacles qui entravent sa liberté.”

Charlie n’a pas vécu de “baby clash” à proprement parler, mais la maternité l’a transformée : “j’ai quitté mon conjoint quand Roman avait un an et demi. On était ensemble depuis 15 ans, on s’est rencontré jeune et on a grandi ensemble. L’arrivée de Roman s’est faite dans la joie, nous voulions cet enfant. Sur le papier, nous avions tout pour être heureux : deux belles carrières, un appartement, des amis… Le fait d’être devenue maman m’a fait complètement changer. J’ai commencé à faire le point sur mon bonheur et à le compartimenter : suis-je épanouie en tant que cadre dans mon entreprise ? Suis-je bien dans ma vie en tant que sœur ou fille de ? À la fin, j’ai réalisé que tout allait bien, sauf avec mon conjoint. C’était l’an dernier et deux choix s’offraient à elle : rester, parce que l’enfant était petit, ou faire de son bonheur sa priorité. “J’avais besoin d’être honnête envers moi-même, envers mon conjoint et surtout notre enfant. Je voulais qu’il grandisse avec une image de “couple” et pas seulement de “parents”.

Si le cas de Charlie est plutôt isolé, d’habitude, ce sont surtout des tensions au sujet des tâches parentales qui font voler le couple en éclat (81% des jeunes parents se disputent pour cette raison selon une étude de l’IFOP pour Sleepyz). Les courses, les lessives, la cuisine, le ménage… Un changement de rythme, une attention permanente et une nouvelle source de frustration. “On passe d’une vie sans contraintes faite de sorties, de voyages et réceptions entre amis à un quotidien où tout tourne autour de bébé. Pour la mère, souvent, ce sentiment est compensé par ce qu’on appelle la ‘préoccupation maternelle primaire’ (un concept défini par le pédiatre britannique Donald Winnicott). Après l’avoir porté 9 mois, la mère fusionne en quelque sorte avec le bébé et répond plus facilement à ses besoins. Si le partenaire ne s’implique pas, il devient encore plus frustré des contraintes, et la mère de son côté, n’est plus satisfaite par son partenaire. Un aller direct vers le clash selon le Dr Lorin, car “tout le monde a le droit au bonheur”. Et surtout, on accepte moins d’être frustré !

L’âge moyen du premier enfant en France est autour de 29 ans (selon Eurostat en 2019). On pourrait croire qu’une implication plus forte au travail et une dose de responsabilités (et aussi de fatigue) plus élevée est source de stress à la maison, et favoriserait les disputes du couple avec un jeune bébé. Pour le Dr Lorin, ce n’est pas le bon argument. “Sur le plan psychique, on est plus mature à 40, 30 ans qu’à 20 ans. À ce stade de sa vie, une personne est plus épanouie dans sa vie professionnelle et d’autant plus prête à accueillir un enfant. Un travail créatif par exemple est très excitant. C’est un excellent moyen de balayer la frustration du quotidien ! La parentalité est une aventure aussi merveilleuse qu’ingrate. Si l’individu n’est pas nourri à l’extérieur, il peut vite saturer”.

Comment éviter les tensions ?

“Se lever la nuit, préparer les repas, faire les courses… Deux parents impliqués, c’est essentiel et cela apporte beaucoup à l’enfant. Même si l’un des deux devient la figure d’attachement principale (ndlr : selon le psychiatre et psychothérapeute John Bowlby, celle qui va prendre soin du bébé en priorité et de manière privilégiée pendant ses premiers mois), il est essentiel de se soutenir entre adultes. » Et quand la fatigue prend le dessus ? “Ne jamais hésiter à se faire aider par son entourage. Si le bébé pleure beaucoup la nuit par exemple, appelez un proche ou une nounou pour vous faire gagner quelques heures de sommeil. Ça ne sert à rien de continuer si vous êtes excédé ou épuisé. Retrouvez-vous aussi en couple, une soirée de temps en temps.” Le niveau d’alerte : “c’est l’agressivité, même verbale. Dans ce cas, je recommande de consulter un thérapeute de couple, car le bébé doit être protégé des tensions. Le spécialiste pourra faire émerger la parole de chacun, et le couple pourra plus facilement évaluer si la frustration est fugace ou si la relation est trop abîmée pour continuer. Si un couple se sépare à l’arrivée d’un bébé, la relation se serait quand même terminée plus tard car cela signifie que ce qui liait les deux individus n’était pas assez solide.”

En cas de séparation, doit-on l’annoncer à son bébé ?

Charlie n’a pas hésité. “Même s’il n’avait qu’un an et demi, ça nous tenait à cœur. Je pense que les enfants ressentent tout ! Un matin, on l’a pris sur nos genoux et on lui a expliqué qu’on allait vivre séparément avec papa, mais que ça ne changerait rien à notre amour pour lui, qu’on restait une famille. On lui a aussi promis de se retrouver tous les trois de temps en temps. Il n’a pas vraiment réagi (et on ne s’attendait pas à une conversation), mais je suis persuadée qu’au fond il a compris.”
Selon le Dr Lorin, Charlie a fait le bon choix sur toute la ligne. “Il est préférable de l’annoncer en présence des deux parents. Uniquement si tout va bien sur le plan émotionnel, pour discuter sans être trop bouleversé. Le message important à faire passer c’est ‘tu es un super bébé, ça n’a rien à voir avec toi, on sera plus heureux comme ça et on t’aime très fort !’
En parallèle, elle confirme, les enfants ressentent tout. “Un bébé sait lire les émotions. Jusqu’à trois ans, il apprend la communication non verbale et peut lire une expression sur le visage, des mimiques. Jusqu’à 18 mois, il reçoit les émotions de celui qui le porte. C’est seulement après qu’il peut plus facilement se construire une barrière et se protéger. C’est pourquoi au début, en cas d’angoisse, je recommande de poser le bébé dans son berceau ou dans les bras de quelqu’un d’autre, le temps de se calmer. En 1920, Freud évoque le rôle de “pare-excitation”. Le Dr Lorin précise : “le parent est là pour filtrer tout ce qui peut blesser l’enfant. Un son bruyant, des lumières vives ou… des émotions intenses”.

Pour quel mode de garde opter ?

La garde alternée, bonne ou mauvaise idée ? “Pour un souci d’égalité entre les parents, c’est ce que les juges aux affaires familiales ont tendance à statuer, nous confie le Dr Lorin. Quel que soit l’âge de l’enfant, je ne le recommande pas si la relation entre les parents est encore conflictuelle, c’est la règle d’or. Car plus il y aura d’échanges (sur le pas de la porte ou au téléphone), plus les conflits vont s’accumuler. Après coup, les parents peuvent être agacés, voire ruminer en présence de l’enfant et ne présenteront aucune disponibilité émotionnelle. 

Séparés mais en bon termes, Charlie et son ex-conjoint ont pris leur temps. “On est resté deux mois dans notre appartement familial pour réfléchir. Une phase de transition bénéfique, où l’on continuait même de dormir ensemble.”. Finalement, ils gardent leur appartement familial dans lequel Roman vit 100% du temps et optent pour un système 2-2-3. “Deux jours pour un parent, deux jours pour l’autre, et trois jours à nouveau pour le premier parent. On alterne toutes les semaines pour l’avoir autant de temps tous les deux. Avec mon ex-conjoint, nous nous relayons là-bas les jours où nous avons sa garde. Et quand on est seul, on a loué un deuxième appartement dans le quartier avec deux chambres, une pour lui, et une pour moi, pour avoir notre espace et notre intimité. Les agents immobiliers avaient du mal à comprendre ! On ne va pas se mentir, cette solution est très coûteuse et contraignante pour nous. Ça demande beaucoup d’organisation, j’ai du mal à me “poser” vraiment, mais ça reste gérable et ça ne perturbe pas trop Roman (ndlr : qui a actuellement deux ans et demi) donc c’est le principal. Ces prochains mois, l’objectif est de déménager et de nous trouver un appartement chacun. On gardera le même système de garde, d’où l’importance de trouver deux logements proches de l’école. Quand il sera plus grand, peut-être qu’on optera pour un système 1 semaine-1 semaine. Pour l’instant, j’en suis moi-même incapable, c’est trop long d’être séparée de lui aussi longtemps !

Pour les questions de garde, le Dr Lorin se base sur les recommandations de la WAIMH (World Association for Infant Mental Health), du calendrier du chercheur T. B. Brazelton et de son expérience de psychiatre. “On évite la séparation nocturne avec la figure d’attachement principale (qui peut être la mère ou le père) jusqu’à 3 ans, pas de nuit en dehors de la maison. De 0 à 3 ans, l’enfant construit une relation avec l’autre parent la journée. À partir d’1 an, on peut tabler sur une journée entière par semaine et à 3 ans, une nuit par semaine, 4 ans deux nuits par semaine… Pour commencer une vraie résidence alternée à partir de 6 ans. Si on va trop vite, la séparation peut être dommageable à terme pour l’enfant. Il peut présenter des signes d’insécurité qui se traduisent par des troubles du sommeil ou beaucoup de pleurs. De 0 à 3 ans, cela peut aussi se manifester par de l’hypervigilance et de l’agrippement (même si c’est juste visuel, et que le bébé vous soutient du regard par exemple.)”. Jusqu’à, dans des cas plus graves, de l’apathie. “Il faut garder à l’esprit que pour lui-même, un bébé qui ne réagit pas est pire qu’un bébé qui pleure. À partir de 3 ans, ces signes d’insécurité peuvent diminuer les capacités de concentration, on peut l’observer quand l’enfant joue notamment, et manipule moins longtemps ses jouets. Une phase pourtant essentielle à son développement.

Anniversaires, vacances, jours fériés, quid de la flexibilité en résidence alternée ? “C’est super de pouvoir faire preuve de flexibilité. Encore une fois, à une condition : uniquement si les parents s’entendent bien. Dans le cas contraire, on respecte scrupuleusement les plannings et on s’évite de nouveaux conflits”.
On récapitule : d’abord assurer une relation saine et sans animosité avec son partenaire, puis faire les choses en douceur pour préserver le bien-être de l’enfant et son développement. Et ça, seul vous saurez quand vous serez prêt !

Comment faire garder des repères à l’enfant ?

Quand Roman n’est pas avec moi, je l’appelle en visio en fin de journée, c’est notre petit rituel et son père fait pareil, raconte Charlie. On communique beaucoup avec mon ancien conjoint. Tous les matins, on s’écrit pour raconter en détail la journée et la nuit que Roman a passé. Ça nous permet de suivre son quotidien et d’être exactement au même niveau d’information. On sait qui il a vu, à quel jeu il a joué, s’il est allé sur le pot… On partage également beaucoup sur nos groupes WhatsApp avec nos familles (et belle-familles respectives). On a aussi notre petit rituel au coucher : le bain, le dîner (on mange en même temps que lui), le brossage des dents et la lecture du livre. C’est pareil avec les punitions ! S’ il n’est pas sage à la crèche, il n’a pas le droit de rentrer en trottinette. Papa ou maman, pas de différence. On veut absolument être sur la même longueur d’ondes en termes d’éducation, pour éviter aussi qu’il profite de la situation, car il est très malin !

Le Dr Lorin acquiesce. “Charlie a tout compris. Une relation apaisée entre les parents et beaucoup de communication, c’est la clé d’une séparation saine. Pour le téléphone, je recommande d’éviter ce rituel le soir avant le coucher, j’ai remarqué que certains enfants séparés de l’un de leurs parents pouvaient être plus angoissés au moment de raccrocher. Pourquoi ? À la tombée de la nuit, le niveau d’angoisse est plus élevé chez l’être humain. C’est notre condition humaine ! Vous l’avez sûrement remarqué quand vous êtes stressé ou malade. La nuit, tout est exacerbé. En tant qu’adulte, on a tout un tas de solutions pour se distraire : des livres, de la méditation, des séries… Un enfant est plus démuni, donc il s’exprime, et il pleure« . Si le Dr Lorin devait faire passer un autre message, ce serait au niveau des doudous. “Il faut arrêter d’en acheter des tonnes, qui embrouillent l’esprit des petits. On en prend deux, on le fait choisir au bébé et c’est très bien. Quand les parents sont séparés et dans le cadre d’une garde alternée encore une fois, mieux vaut bien s’entendre. Des conflits ? C’est le meilleur moyen de perdre le doudou !”. Ou, le drame, et ça, tous les parents pourront confirmer.

Par Margaux Steinmyller