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Entretien avec Jennifer Devoldère, la réalisatrice de <i>Sage-Homme</i> - Doolittle
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Entretien avec Jennifer Devoldère, la réalisatrice de Sage-Homme

Environ 23 400 sages-femmes exercent en France d’après un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques publié en 2021. Une profession mise à l’honneur avec Sage-homme, arrivé mercredi dans les salles obscures. Porté par Karin Viard et Melvin Boomer, le film y raconte le parcours d’un jeune homme désirant devenir médecin, qui se retrouve à enfiler la blouse rose des sages-femmes. Entretien avec Jennifer Devoldère, la réalisatrice de cette comédie drôle et touchante, qui avait à cœur de mettre ce métier à l’honneur.

Comment est née l’idée de ce film ?

Je cherchais une thématique et je voulais prendre le problème à l’envers : avoir un homme qui doit faire son chemin dans un monde de femmes, au lieu d’une femme qui réussit dans un monde d’hommes. En tirant le fil, est venue l’idée de Léopold qui, sans utérus et sans vagin, allait devoir faire sa place dans le monde de l’intime féminin. D’un autre côté, ça faisait longtemps que je tournais autour de la maternité. En accouchant, j’avais été accompagnée par des sages-femmes et ça m’avait beaucoup marquée. Je ne comprenais pas bien leur fonctionnement, ni ce qu’elles faisaient. Les urgences maternité, ça me semblait un peu comme un bunker secret. J’avais envie d’en savoir plus, je me suis dit que d’autres pourraient avoir la même curiosité.

Vous avez effectué beaucoup de recherches en amont ?

J’ai fait un stage en maternité, j’ai été au sein d’une équipe de sages-femmes. J’ai aussi interrogé des sages-femmes, regardé des documentaires, lu des bouquins, etc. 

C’est avec tout ça que vous avez eu l’idée de la scène de l’accouchement avec la musique de Lara Fabian, à fond en salle de travail ?

C’est un ensemble de choses. Je crois avoir lu le témoignage d’une sage-femme. Elle n’aimait pas Lara Fabian et elle racontait qu’elle n’en pouvait plus car une femme voulait accoucher sur l’une de ses chansons. (Rires.) Pendant mon stage en maternité, j’ai aussi vu que beaucoup de couples mettaient leur propre musique pour accoucher, des choses comme Les Chariots de feu.

Ce n’est pas simple de réaliser un film dans un univers où l’on entre autant dans l’intimité des gens. Comment vous avez appréhendé ça avec vos acteurs ?

Ils ont tous les deux effectué un stage en milieu hospitalier pour voir des naissances et s’imprégner de ce qu’ils allaient ressentir. Karin a eu quelque chose d’un peu plus technique, il fallait qu’elle soit vraiment sage-femme d’expérience. Melvin l’a pris plus du côté émotionnel, et il s’en est servi pour jouer certaines scènes clés. Je pense que ça les a marqués tous les deux : voir des naissances, ce n’est pas rien. C’est la vie dans toute sa puissance, c’est fort. Il y avait une démarche assez simple et authentique de tout le monde. Travailler avec de vraies sages-femmes et avec un personnel hospitalier dans leur propre rôle, ça a aussi permis une circulation assez fluide et naturelle pour appréhender ça. 

Dans le film, Léopold considère le cursus de sage-femme comme une simple passerelle vers la médecine générale. Vous aviez à cœur de mettre en lumière un univers qui manque de reconnaissance ?

Oui, je voulais rendre hommage au métier de sage-femme. Outre évoquer l’aspect technique et clinique, je voulais mettre en avant la charge psychologique et la grande responsabilité qu’elles ont. En mettant des enfants au monde, le futur est un peu entre leurs mains. Cela peut impacter la vie d’une famille, la relation mère-enfant, etc. C’est un endroit où la vie et la mort se côtoient sans cesse, où tout peut basculer d’un moment à l’autre. Elles doivent ramener cette charge chez elle. Il ne s’agit pas simplement de faire naître un enfant, il s’agit de le faire dans les meilleures conditions et d’accompagner la femme de la meilleure manière. Cela demande des qualités de l’ordre du don de soi, de l’empathie, de l’écoute, savoir s’effacer au profit de la femme, etc. Ces qualités ne sont jamais reconnues. Dans notre société, on valorise plutôt la performance ou l’innovation, des choses plutôt techniques.

Entretien avec Jennifer Devoldère, la réalisatrice de <i>Sage-Homme</i> - Doolittle

Léopold finira par dire : « J’espère que j’en ai été digne. C’est un cadeau. Non, c’est un honneur. » C’est une vraie déclaration d’amour à la profession ?

C’est une déclaration d’amour à cette profession, et aux femmes en général. C’est un honneur de pouvoir les côtoyer. J’avais à cœur de les valoriser et de les faire connaître. Le film ne dit pas tout ce que font les sages-femmes : elles peuvent prescrire, faire un IVG, une échographie, de la prévention, elles s’occupent aussi du post-partum… Elles souffrent d’un déficit d’image, y compris dans les cursus scolaires. Cette année, il y a 20% de places vacantes dans les écoles, ce qui aura évidemment des conséquences dans le futur.

Nathalie, qui encadre Léopold à l’hôpital, rappelle qu’il n’existe pas d’équivalent masculin pour le mot de sage-femme. Vous le saviez avant ce projet ?

Oui, je savais qu’on disait « un sage-femme ». Ce que je ne savais pas, c’est que le terme sage-homme allait faire autant parler ! Je ne savais pas que le sujet était aussi sensible ! Pour moi, sage-homme, c’est Léopold. A la fin, lui-même assume, il dit « un sage-femme » et son cousin lui dit : « T’es un sage-femme en or. » Il n’y avait pas de controverse là-dessus pour moi. C’est la thématique du film : Léopold accède à la connaissance de lui-même, il passe de « bouffon », comme le dit quelqu’un au début, à « sage », il acquiert la sagesse. Le titre « Sage femme » était déjà pris de toute façon, c’est un film avec Catherine Frot et Catherine Deneuve (sorti en 2017). Finalement, on fait parler, ça permet aussi d’évoquer le sujet d’une autre manière et d’expliquer aux gens ce que c’est.

Karin Viard s’est beaucoup impliquée pour éviter la fermeture de la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis), où ses deux filles sont nées. Elle avait une sensibilité particulière pour jouer le rôle de Nathalie, une sage-femme d’expérience ?

J’ai trouvé qu’elle avait ça en elle. Elle le dit, elle a dû être sage-femme dans une autre vie ! Elle s’est tout de suite très bien sentie là-dedans. Si sa vie à refaire, elle penserait au métier de sage-femme donc oui, je pense qu’il y avait quelque chose de très évident pour elle.

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Ce film déconstruit les préjugés sur les rôles de genre en plaçant un homme dans un métier quasi-exclusivement féminin. Le cinéma est un bon outil pour démonter de tels stéréotypes ?

Démonter, peut-être, mais surtout questionner la parité. On parle souvent de l’égalité homme-femme du côté de la femme, de l’accès à certaines professions, avec une égalité salariale. Mais on ne questionne pas beaucoup la parité dans certains métiers du côté masculin, alors que ça aide tout autant à changer les préjugés. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’hommes sages-femmes ou dans la puériculture ? Il y a toujours une idée de dépréciation de ces métiers-là pour des hommes, alors qu’une femme qui ferait un « métier d’homme », elle serait forte. Un homme auxiliaire de puériculture, on le dévirilise. Ça aussi, il faut le questionner. C’est plus de ce côté-là que je voulais le placer.

On parle beaucoup du manque de moyens des hôpitaux depuis la crise sanitaire. Dans ce contexte, il y a un message politique derrière un film comme le vôtre ?

Moi, je n’avais pas de message politique. Ça reste un film populaire. Je voulais synthétiser, pour le grand public, quelque chose qui est plus du côté du documentaire ou du film d’art et d’essai. Je voulais une fiction, une comédie, qui traite de sujets profonds. Les deux ne sont pas incompatibles. Je voulais parler de la transmission, du fait qu’un échec peut être le début de quelque chose, parler du malaise de la vie étudiante… Dans le film, il y a plein de choses, qui concernent aussi la crise hospitalière. C’est en filigrane, mais je ne voulais pas édulcorer le film. Je voulais un film populaire mais qui traite de vrais problèmes. C’est peut-être en ça qu’il est politique, mais il n’y avait pas cette démarche.

Qu’aimeriez-vous que le public retienne de Sage-homme ?

D’abord, j’aimerais que les gens soient sincèrement touchés et émus par l’histoire, et ensuite, qu’ils aient une compréhension différente du métier de sage-femme. Certaines sages-femmes nous ont remerciés en disant : « Enfin, mon mari va comprendre ce que je fais. Enfin, mes enfants vont comprendre ce que j’endure. » Ça peut peut-être ouvrir une discussion pour aider à la reconnaissance de ce métier.

Entretien avec Jennifer Devoldère, la réalisatrice de <i>Sage-Homme</i> - Doolittle
Par Quentin Ballue