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Rencontre avec <i>Rachid Santaki</i>, alias <i>“Monsieur Dictée”</i> - Doolittle
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Rencontre avec Rachid Santaki, alias “Monsieur Dictée”

Le 26 octobre dernier, les éditions du Cherche Midi publiait le livre “Une vie à écrire” soutenu par Pilot. Un recueil de 192 pages dans lequel vingt personnalités racontent leur relation à l’écriture. Parmi elles : Rachid Santaki, celui que l’on connaît pour ses dictées géantes.

Peux-tu nous faire la rétrospective de la dictée géante ? Ça fait déjà un moment qu’elle existe… 

Ouais ! Tout a commencé en 2013 en Seine-Saint-Denis, avec une dictée un samedi matin à 10h. Sauf qu’au lieu de parler de la dictée, on a annoncé avec l’acteur associatif qu’il était possible de gagner une paire de Jordan, en espérant mobiliser 50 personnes. Forcément, on s’est retrouvé avec 250 personnes… Il a donc fallu gérer la frustration d’une centaine d’enfants venus participer mais qui sont repartis sans les baskets. Deuxième erreur : j’avais choisi un texte de 300 mots… Les gamins tombaient comme des mouches en pleurs. J’en rigole maintenant, mais ça n’a pas été drôle sur le coup… Voir des enfants en sanglots sur un texte des Trois Mousquetaires, c’est horrible (rires). Assez déterminé, j’ai malgré tout reconduit la dictée un mois plus tard, cette fois-ci, avec un texte beaucoup plus court et sans communiquer sur les lots à gagner. À partir de là, ça a été une traînée de poudre. Les acteurs associatifs nous sollicitaient de toute part. Pendant cinq ans, ça a été une succession de records. Je pense notamment à la dictée géante au Stade de France, en 2018, qui a rassemblé 1473 participants. Mais il y a également eu celle avec Thomas Pesquet au Musée de l’Air et de l’Espace et plus récemment, celle des Champs-Elysées. Aujourd’hui, des centaines de personnes viennent, quel que soit leur âge. Et après dix ans d’expérience, je pense qu’on peut parler de la dictée comme d’un temps ludique, de représentation et d’inclusion. 

Tu as pu observer une différence entre les adultes et les enfants qui participent ? 

Je vais vous raconter une anecdote : il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion d’organiser une dictée dans un cinéma. C’était une première. Les gens sont venus, chacun avec leur support rigide, leur stylos bleu et vert et leur copie. Je leur ai ensuite fait les trois lectures pour finir sur une correction collective. Pendant l’exercice, une petite fille s’est mise à pleurer, je l’ai donc installée auprès d’une personne bienveillante, jeune, qui a pu l’aider et qui lui a permis de terminer. À la fin de la dictée, deux personnes en colère sont venues me voir. La première : une dame d’une cinquantaine d’années complètement hystérique, parce qu’elle n’avait pas “gagné”. La deuxième personne voulait, quant à elle, un barème alors que la dictée n’a jamais été notée et ne le sera jamais… Bref, j’ai réalisé qu’on pouvait avoir des adultes aussi voire plus rageux que les enfants (rires). L’âge ne veut strictement rien dire. Après, je pense qu’on a tous, quelle que soit la génération, peur d’avoir honte, honte de la faute, honte de la note, honte de mal écrire… C’est sur cette notion de bien-être que je travaille. Mon objectif, c’est de faire sauter le verrou de la honte. 

La dictée est primordiale. Pour sortir de l’isolement, pour l’accès à la culture, pour l’insertion professionnelle…

Selon toi, pourquoi on redoute tant cet exercice ? 

Je pense à toutes celles et ceux qui ont des difficultés, qui n’ont pas compris et qui n’ont jamais osé le dire. On ne leur a jamais réexpliquer. Le sujet de l’orthographe, c’est vraiment la honte. Cette honte, elle met un frein. Et ce frein vous empêche d’écrire, parce que vous avez peur de faire des fautes. Résultat : ça vous isole, ça vous replie. Le sujet de l’orthographe, ce n’est selon moi pas un sujet de règles ou de bases, c’est un sujet de verrou qu’il faut faire sauter.

Pourquoi c’est important de défendre la dictée ? 

D’un point de vue sociétal, la dictée est primordiale. Pour sortir de l’isolement, pour l’accès à la culture, pour l’insertion professionnelle… Là où j’ai vraiment pris conscience de l’importance des mots par rapport à l’isolement, c’est en détention. En 2018, j’ai eu l’occasion de faire un tour de France des maisons d’arrêt et des établissements pénitentiaires durant lequel j’ai réalisé une cinquantaine de dictées. Cette expérience a été le pilote de cette “nouvelle” dictée que je défends, celle où il est important de créer un dialogue, de préparer les gens et de corriger collectivement. Pour moi, ce n’est pas l’orthographe en elle-même qui est importante. C’est la maîtrise de l’orthographe, pour la maîtrise des mots. Prenez le climat actuel : si vous regardez bien notre société, on est aujourd’hui dans l’ultra-violence. Or, la violence, elle vient d’où ? Du manque de mots, selon moi. Quand on n’a pas les mots, on frappe. Les mots, ça évite de se braquer, de crier, de frapper. On le voit bien quand vous avez un différend avec quelqu’un. Soit votre colère vous dépasse, soit vous avez les mots. Les mots peuvent apaiser. Sans les mots, ça part en baston de regards, vous avez la tension qui monte, vous avez le “mot de travers” qui fait que ça dégénère. Tout cela, je l’explique avant chaque dictée. 

C’est ce que travaillent aussi les enseignants… 

Bien sûr ! On a parfois tendance à leur taper sur les doigts, en critiquant l’école. On peut parler des torts de l’Éducation nationale, dire que c’est une grosse machine, mais on ne peut pas dire que les enseignants ne font pas leur travail. C’est prendre le temps de réparer ce lien avec l’orthographe par les mots justes, qui va permettre de reprendre confiance et d’oser. Et à partir du moment où vous osez, où vous faites des erreurs, ça change tout. 

C’est quoi ton souvenir de dictée lorsque tu étais enfant ?

C’est assez amusant : il y a quelques années, mon père m’a rappelé que c’était grâce à lui que je faisais des dictées. On se taquine souvent, mais après y avoir réfléchi, je me suis en effet souvenu que je lui faisais des dictées quand j’étais petit, pour qu’il apprenne la langue française. Aujourd’hui, le souvenir est entier et j’en parle aux jeunes : “Vous n’aimez pas les dictées ? Bah imaginez-vous que mon daron, le samedi matin dès 9h30-10h, m’obligeait à me lever, et je devais me taper 2 heures de dictée avec lui…” (rires) En plus, il était vicieux le bougre. Il me donnait un mot, prétextant qu’il n’en comprenait pas le sens, alors qu’il le connaissait très bien ! Bref, j’ai longtemps considéré la dictée comme une contrainte. Mais c’est finalement quelque chose qui a créé une vocation.

Si j’étais plus jeune, je dirais que l’écriture, “elle m’a mis bien” 

Aujourd’hui, on dit de l’écriture manuscrite qu’elle est en voie de disparition. Tu y crois ? 

Non, on y revient petit à petit selon moi. Après, il ne faut pas voir l’écriture manuscrite comme le simple fait de prendre un stylo, ce truc un peu à l’ancienne où on trempe sa plume dans le buvard rempli d’encre… (rires) En fait, l’écriture manuscrite – je fais toujours le mouvement d’écrire – c’est se reconnaître. Quand vous prenez un stylo, vous faites un effort physique, vous allez chercher des informations. Avec la tablette ou le téléphone, vous êtes aidé. C’est comme pour le GPS. Quand on écrit, on peut se tromper, donc on prend le temps. Un temps de concentration qu’il faut préconiser ! Attention, il y a encore du chemin. Bien sûr qu’aujourd’hui le niveau d’orthographe a chuté. Car même si on écrit beaucoup plus, on écrit avec des erreurs. Pour ça, on peut remercier le numérique… Après, je le reconnais : si j’avais eu une tablette étant jeune, je n’aurais pas du tout le même niveau d’orthographe. C’est justement de ça dont parle le livre « Une vie à écrire », porté par Pilot ! 

Qu’est-ce qui t’a poussé à faire partie de ce projet ? 

Je suis très sensible à tous les sujets qui permettent de parler de l’écriture. Et notamment là, par rapport à ma casquette d’auteur, j’ai trouvé que ce projet était une reconnaissance. Le fait de pouvoir raconter mon histoire, j’ai pris ça comme un honneur. Et je trouvais que le projet était complètement en écho et en phase avec mon travail sur la dictée. 

Certains parlent de l’écriture comme quelque chose qui les a sauvés, d’autres comme une thérapie… L’écriture représente quoi pour toi ?

L’écriture me fait surtout penser aux jeunes, à la génération future. En déconnant, si j’étais plus jeune, je dirais que l’écriture, « elle m’a mis bien » (rires).

 

  • Une vie à écrire, publié aux éditions Le Cherche Midi, 18€. À noter que les droits d’auteur et les bénéfices réalisés seront intégralement reversés aux associations Le Labo des histoires et #StopIllettrisme, qui organisent des ateliers d’écriture gratuits auprès d’un public éloigné de cette pratique.
Par Ana Boyrie