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Rencontre avec la <i>réalisatrice</i> du documentaire <i>Notre corps</i> - Doolittle
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Rencontre avec la réalisatrice du documentaire Notre corps

Quinze ans après Les Bureaux de Dieu, Claire Simon investit le service gynécologique de l’hôpital Tenon pour en tirer Notre corps, film documentaire bouleversant sur un « monde principalement féminin » en manque d’images et de représentations.

 

Dans l’un de vos premiers documentaires, vous suiviez la dernière tournée d’un médecin de campagne. Vous avez ensuite tourné Les Bureaux de dieu dans un centre du Planning Familial. Avez-vous le sentiment d’avoir bouclé une trilogie avec Notre Corps ?

Pas vraiment. Bien sûr, Notre Corps et Les Bureaux de dieu sont liés, bien que l’un soit un film de fiction et l’autre un film documentaire. Au-delà de ça, le corps est l’un des sujets majeurs du cinéma. Les cinéastes en ont toujours filmé, que ça soit Charlie Chaplin, Alfred Hitchcock ou Alfonso Cuarón qui nous les montre en apesanteur dans Gravity. Brigitte Bardot, c’est aussi un corps… Le vrai problème, c’est que le corps des femmes est occulté. Certes, on les voit dans des publicités pour vendre des soutien-gorges, des glaces ou des lunettes. Mais la réelle épopée que chaque femme traverse reste secrète.

Vous aviez des a priori sur l’hôpital ?

J’étais surtout méfiante vis-à-vis des médecins, mais j’ai changé radicalement de point de vue au terme du tournage. Leur engagement m’a fait une très forte impression. On traite aussi tout le monde de la même manière dans un hôpital, ce qui est radicalement différent à l’extérieur.

Vous avez collaboré avec une équipe exclusivement féminine. C’était une condition sine qua non pour mener à bien votre projet ?

On ne peut pas rentrer avec un garçon dans une salle d’opération pour filmer une césarienne. Pour les patientes, c’est très difficile d’être vue par un homme dans ces conditions-là. D’ailleurs, nous n’avons eu qu’une seule contrainte : ne citer aucun nom, y compris celui de l’hôpital. J’avais écrit un texte pour présenter mon projet à toute l’équipe soignante et lui expliquer mon idée. Il a fallu évidemment négocier avec les patientes. Il m’est arrivé d’avoir à faire à des maris qui s’exprimaient à la place de leur femme. Il faudrait leur rappeler qu’ils ne les posséderont jamais. C’est impossible, à moins qu’ils ne les considèrent clairement comme des esclaves.

Face à un cas d’endométriose, le chirurgien se préoccupe surtout de la capacité de procréer de sa patiente sans vraiment interroger son désir d’enfant. Avez-vous le sentiment que l’injonction à la maternité pèse encore lourdement sur les femmes ?

Oui, bien sûr. Pousser systématiquement des femmes qui ont presque 30 ans à la préservation de leur fertilité, c’est ne pas tenir compte de leur volonté réelle. Qui sait si ça n’est pas le cadet de leur souci ?

Vous ne sortez qu’une fois de l’hôpital pour filmer une manifestation contre les violences gynécologiques.

Deux temporalités se sont superposées aux deux-tiers du tournage. D’un côté, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Je n’avais pas vraiment l’intention de me greffer au film, mais j’ai compris qu’il le fallait dans son intérêt. En parallèle, un médecin de l’hôpital Tenon a été assigné en justice [il s’agit du gynécologue Emile Daraï, spécialiste de l’endométriose mis en examen pour « violences volontaires » sur 32 femmes, ndlr]. Là non plus, je ne pouvais pas ne pas passer à côté de ces femmes qui prenaient à bras le corps les violences obstétricales ou gynécologiques dont elles avaient été victimes. Leur récit s’intégrait au film, même si ça n’était pas mon sujet.

Comment filme-t-on des corps à l’hôpital ?

J’essaie toujours de filmer une conversation comme une scène de cinéma avec des corps face à face. Dans ce contexte précis, les mots servent à nommer les maladies mais aussi le corps. Poser des mots sur la douleur permet de comprendre ce qu’il nous arrive. J’ai été très attentive aux postures des médecins et de leurs patientes pendant les consultations. La chirurgie m’a également passionnée, même si j’avais des appréhensions. On a l’impression de ne rien comprendre à ce qu’on voit à l’intérieur du corps, mais les médecins nomment tous les actes qu’ils pratiquent pendant une opération. Une séance de chirurgie, c’est toujours une leçon d’anatomie.

Les machines de modélisation 3D qu’utilisent les chirurgiens lors d’une opération d’endométriose ressemblent à des bornes d’arcade…

C’est une séquence à la fois ludique et pédagogique. On ne comprend vraiment l’endométriose qu’en la voyant. Le cinéma rend possible ce genre d’événement. Tout le monde sait ce qu’est une PMA, mais personne n’en a jamais vu. J’ai trouvé ça totalement extraordinaire de me retrouver dans un laboratoire où l’on fabrique des humains. J’avais l’impression de voir un coït découpé en tranches. Mais les couples qui se lancent dans une FIV ou une PMA ne mesurent malheureusement pas à quel point il s’agit d’un processus lourd pour les femmes…

Avez-vous pensé différemment la mise en scène pour l’accouchement par voie basse et par césarienne ?

J’ai voulu filmer l’accouchement naturel de profil pour relier à l’image le visage de la mère, son ventre et la sortie de l’enfant. On ne peut pas reproduire le même plan pendant une césarienne parce qu’un drap sépare le corps et la tête. Ça n’est pas non plus un acte chirurgical aussi « facile » qu’un acte par le bas, contrairement à ce qu’on peut entendre.

 

un film Dulac Distribution au cinéma le 4 octobre

Par Boris Szames