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Qu’est-ce <i>que c’est</i> que cette mode du « Quoicoubeh » <i>encore</i> ? - Doolittle
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Qu’est-ce que c’est que cette mode du « Quoicoubeh » encore ?

Il y a de quoi en perdre son latin. Depuis quelques mois et ce, grâce aux réseaux sociaux, les jeunes n’ont qu’un mot à la bouche : “Quoicoubeh”. De quoi larguer un grand nombre de parents. Mais TKT, même si ça te met le seum de ouf de rien capter, pas besoin d’être en PLS : Doolittle t’explique tout ça.

N’importe quel parent dont l’enfant est à l’école primaire ou au collège, a forcément entendu ce mot, une fois depuis le début de l’année. “Quoicoubeh”. Résultat : des adultes aux yeux de merlan frit face à des ados hilares. Pour ceux – les plus chanceux – qui ne connaissent pas cette nouvelle expression utilisée par la jeune génération, explication : tout d’abord, quelqu’un se met à parler de manière peu audible, marmonnant en fin de phrase des propos volontairement incompréhensibles. Par exemple : “T’as les cramptés ?”. Le but : inciter l’interlocuteur à demander une précision, fréquemment formulée par le pronom interrogatif “quoi”. Après quoi le piège se referme : fière comme un paon, rictus en coin, la personne répond de manière triomphante pour ne pas dire exaspérante : “Quoicoubeh !!!”. Parfois même suivi d’une petite danse qui donne envie de tout casser.

Comme si ça ne suffisait pas, il existe des variantes adaptées selon les réactions. Si l’on répond : “Hein ?”, l’interlocuteur poursuit par “Heinpayaye” ou “Apagnan”. Là non plus, ça ne veut rien dire. Pour ce qui est de l’origine, ce charabia adolescent aurait pour inventeur Camsko La Vache, un tiktokeur de 22 ans, amateur de répliques onomatopéiques dépourvues de sens, ayant au compteur 370 000 abonnés. C’est dans une vidéo postée en février dernier, que l’on voit le jeune homme piéger sa propre mère avec un “quoicouheh”, tandis que celle-ci se débarrasse des restes du repas. On peut d’ailleurs l’entendre rétorquer : “T’as que ça à faire de ta vie, mon pauvre, c’est malheureux. À ton âge, tu ferais mieux de chercher du travail.” Avouons-le, une réponse remplie de “seum”. Toujours est-il qu’en quatre mois seulement, le hashtag a accumulé plus de 130 millions de vues.

@camskolavache Ta vu quand là Daronne elle parle comme sa c’est mieux jcoupe tout ..#fyp #pourtoi ♬ son original – ???????✪

Fonction jubilatoire, transgressive et identitaire 

Néologisme certes, mais rien de nouveau sous le soleil. “Quoicoubeh” n’est finalement que la version 2023 de notre légendaire “Quoi ? – Feur” qui, dans les années 90, faisait fureur. Même dans les années 1960, les “d’jeuns” avaient leur parler branché, déclarant quelque chose du genre : “Y’a une boum dans la cave à Jacques, faut y aller, c’est bath, superbath !”. Si l’argot et le “parler jeune” existent depuis belle lurette, l’apparition des réseaux sociaux en a accéléré la diffusion. Autrefois, les modes langagières se répandaient lentement dans les cours d’école, là où aujourd’hui, elles se propagent aussi vite que des fake news. C’est en tout cas ce qu’observe Cyril Trimaille, maître de conférence en sociolinguistique à l’université Grenoble-Alpes et auteur d’une thèse “Approche sociolinguistique de la socialisation langagière d’adolescents” : “Des jeux de langage, on en a tous connu des différents. C’est le côté raz-de-marée qui est impressionnant. L’aspect numérique, notamment des réseaux sociaux, est évidemment un facteur d’impact. “Quoicoubeh” est l’un des premiers termes qui se répand aussi largement. Géographiquement sans frontières, et qui a rapidement traversé les âges, du lycée jusqu’à l’école primaire.”  Pas de panique, tout le monde s’accorde à dire que ce mot est dénué de sens sémantique. En revanche, le linguiste lui reconnaît un sens social : “Il y a un côté jubilatoire, presque jouissif, de coincer l’autre, surtout lorsqu’il s’agit d’un adulte. J’y vois également une dimension transgressive, c’est s’affranchir d’une forme de hiérarchie dont les adultes ont la mainmise. En tant qu’adulte, nous jouons aussi avec le langage, on transgresse aussi avec lui, mais à l’âge adolescent, ça prend une vigueur particulière car il y a une construction identitaire importante : il faut trouver ou se faire sa place au sein d’un groupe, et y exister en tant qu’individu”.

Trois heures de retenue pour quoi(coubeh) ? 

Balancé à longueur de journée par une génération Z morte de rire, “Quoicoubeh” peut très rapidement déclencher chez les adultes un sentiment de crispation. Peut-être réalisent-ils – avec dépit – être passés dans l’autre camp ? Celui où l’on s’agace de ne rien comprendre au “langage des jeunes”, tout en se concoctant une énième tasse de tisane au gingembre. Peut-être n’y a-t-il tout simplement rien à comprendre ? Rappelons tout de même que la Gen Z a remis au goût du jour le jean taille basse… “En tant qu’adulte, je peux comprendre l’agacement, reconnaît Cyril Trimaille avec empathie. Mais cet agacement est particulièrement lié à un autre phénomène fréquent chez les jeunes : la surutilisation d’un mot nouveau.” Il fait alors part d’une hypothèse : “Ce qui agace peut-être les adultes, au-delà d’une surutilisation due aux réseaux sociaux, c’est de ne pas trop savoir quoi faire vis-à-vis de leurs enfants. J’ai un ado de 16 ans et demi, on est parfois un peu démuni. Quelque part, « Quoicoubeh » symbolise le fait que nos enfants nous “échappent”. Leur socialisation nous échappe puisqu’elle se déroule en partie en ligne, sur des choses dont on n’a pas les codes, dont on ne maîtrise pas le fonctionnement.” Aux grands maux, les grands moyens : face à ce “raz-de-marée”, un établissement scolaire aurait carrément décidé de sanctionner toute personne prononçant le mot “Quoicoubeh”. La peine : 3 heures de retenue. Excessif ? Cyril Trimaille est en tout cas perplexe face à cette réaction “premier degré” : “Je peux entendre que ce soit une réaction dans l’urgence, presque épidermique mais je me demande quelle réflexion pédagogique il peut y avoir derrière. D’autant que cela va renforcer la dimension transgressive, poursuit-il. Je ne suis pas là pour faire des paris mais les adolescents sont capables dans ce cas, de trouver une variante.”  Il ne croit pas si bien dire. Exemple, tout aussi insupportable et toujours sur Tik Tok : à la question “t’as les noisettes ?”, s’ensuit le fameux “hein ?”. Mais cette fois, l’interlocuteur répond “un Nesquik” avant d’enchaîner sur un air rythmé “Chocapic, Chocapic”. Ça fait flop, comme diraient les jeunes…

@strarworx un nesquik chocapic #flopmondial #floppeur ♬ son original – Le floppeurrrr

Bref, deux options : être dépassé ou être à la page. Pour cette seconde catégorie, les plus motivé·e·s pourront toujours se procurer les dernières versions du dictionnaire. Car cette semaine, nous apprenions également qu’une grosse centaine de nouveaux mots venaient épaissir les pages du “Robert” et du “Larousse” 2024. Parmi eux, pas mal d’anglicismes et de mots reflétant les inquiétudes de l’époque, mais aussi de nombreux emprunts au langage des jeunes comme “ramiter”, “ghoster”, “bader” ou encore “être en PLS”. Pas de bol pour le très populaire “quoicoubeh”, qui s’est fait recaler. Sheh !

  • Illustration à la une générée par MidJourney
Par Ana Boyrie