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Quand <i>Disney</i> produisait un film sur les… <i>règles</i> - Doolittle
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Quand Disney produisait un film sur les… règles

Bien avant Il était une fois la vie, Disney investissait le corps humain à sa manière en produisant des courts-métrages pédagogiques diffusés dans les écoles américaines jusqu’au début des années 60. Des menstruations à l’exercice physique, le vieil oncle Walt façonnait l’Amérique à l’image de son univers féérique : un monde puritain et hygiéniste peuplé de créatures asexuées et de princesses en mal d’enfantement. Récit d’un endoctrinement au forceps.

Échaudé par des échecs en cascade (Pinocchio, Fantasia, Dumbo, Bambi), Walt Disney fait grise mine au mitan des années 40. L’oncle Walt en est persuadé, surtout depuis que la fièvre communiste a semé un vent de révolte dans ses rangs : il y a quelque chose de pourri au royaume de Burbank, Californie, siège du laboratoire à rêves qu’il a bâti à la sueur de son front. La « catastrophe » remonte au printemps 1941, quelques temps après avoir annoncé à ses employés des coupes budgétaires drastiques (le studio a perdu environ 8 millions de dollars en une année) qui débouchent sur une grève retentissante organisée par les syndicalistes. À l’époque, pris en étau entre Staline, Hirohito et Adolf Hitler, l’Amérique cherche à inoculer son sérum démocratique aux nations européennes noyautées par le totalitarisme. A défaut de produire des « silly symphonies » surannées, Walt règle alors son pas sur celui d’une nation entrée en guerre. Un retournement de veste opportuniste, certes, mais nécessaire pour occuper ses quelques 500 employés.

Des films pour l’armée US

« Nous avons les infrastructures, l’équipement et le personnel nécessaires. Nous sommes prêts à faire tout notre possible pour apporter notre aide d’une manière ou d’une autre », assure-t-il aux représentants du gouvernement conviés à déjeuner à Burbank quelques mois avant Pearl Harbor. Le lendemain de l’attaque du 7 décembre 1941, la Navy lui passe commande d’une vingtaine de films à destination des G.I. Armés de pinceaux et de celluloïd, les magiciens de Disney passent au rayon X artillerie, avions et navires de guerre dans des courts-métrages pédagogiques produits à la va-vite. Bientôt, c’est toute l’administration américaine qui met à contribution le studio, investi par l’armée et les constructeurs aéronautiques. Le petit prodige de l’animation devient un propagandiste hors-pair, produisant au total plus d’une soixante d’heures d’images en 4 ans. Impossible de se payer la « Disney Touch » sans s’arroger les services de ses plus célèbres personnages. Donald Duck contribue ainsi à l’effort de guerre en payant ses impôts (The New Spirit, 1942) quand il ne vole pas dans les plumes de La race des seigneurs (Der Fuehrer’s Face, 1943). Walt, lui, se prête carrément au jeu de la guerre avec Victoire dans les airs (1943), un documentaire virtuose, long de 65 minutes, dans lequel il promeut la technique du bombardement stratégique.

Sous couvert d’une approche scientifique et factuelle, Walt Disney forge surtout le carcan puritain et hygiéniste qui étouffera l’Amérique d’après-guerre. « Il n’est ni visionnaire ni présomptueux de prévoir l’utilisation [du cinéma] dans les programmes des écoles du monde entier », explique-t-il à la radio américaine en 1943. Une théorie qu’il éprouve déjà en Amérique du Sud où ses films pédagogiques circulent de village en village. On y apprend aux populations hispanophones à vivre selon les bonnes vieilles mœurs occidentales et à se prémunir de toute tentation barbare. De L’eau : ami ou ennemi (1943) à La propreté est source de santé (1945), Walt Disney fignole un programme pédagogique d’une efficacité redoutable que lui envient les plus grandes institutions (l’université de Stanford, l’Encyclopædia Britannica). Au sortir de la guerre, il inaugure finalement un département consacré aux films éducatifs. Sa mission ? Bâtir un monde nouveau, propret et fertile.

La promotion du cycle éternel

Ce virage hygiéniste maquillé en féérie paternaliste prend toute son ampleur dans The Story of Menstruation (1946), un court-métrage éducatif sur le cycle menstruel digne d’une publicité pour les protections périodiques avec ses tabous et non-dits. C’est d’ailleurs une marque de produits d’hygiène féminine, Kotex, qui a passé commande à Walt de ce petit spot publicitaire diffusé dans les écoles nord-américaines pendant une vingtaine d’années. Un joli coup de com’ pour la firme qui distribue à ses futures clientes un fascicule/catalogue indispensable à toute jeune fille  « normalement » réglée. ‘Dans le monde de Disney, le flux menstruel n’est pas rouge sang mais blanc comme neige, analysent Janice Delaney, Mary Jane Lupton et Emily Toth dans leur essai The Curse: A Cultural History of Menstruation. Les dessins du vagin ressemblent davantage à la section transversale d’un évier de cuisine qu’à l’intérieur d’un corps féminin. » S’il laisse passer le mot « vagin » dans le commentaire lu par Gloria Blondell (la voix originale de Daisy Duck), l’oncle Walt se garde bien de ne pas entacher les rêves insouciants des adolescentes en proie à la puberté. Une bonne hygiène alimentaire, un peu de soleil, de l’exercice physique et du self-control suffiraient ainsi, d’après le message qu’il essaie de faire passer, à combler les jeunes filles réglées en les menant au bonheur ultime : la procréation. Cinquante ans avant Le Roi Lion, Disney promeut ainsi déjà le « cycle éternel » de la nature avec une fin digne d’un conte fées, où une mère se penche sur le berceau de son bambin ensommeillé.

S’il précipite l’imaginaire des enfants dans l’imagerie publicitaire, Walt ne perd pas de vue ses rêves enchanteurs. Las de produire des films pédagogiques peu rentables, les écoles se prêtant les bobines sans passer par le studio, Disney cesse de faire dans l’éducatif au tournant des années 50 et réinvestit peu à peu le monde des princesses et des contes (Cendrillon, La Belle au bois dormant, Peter Pan, La Belle et le clochard…). De ses années de vache maigre ne restent que des bribes de dessins-animés avortés, par manque de temps et de moyens, que le studio recycle dans des anthologies mollassonnes (La Boîte à musique, Mélodie Cocktail). Loin du milieu scolaire, l’expérience pédagogique se poursuivra néanmoins à la télévision en 1955 et 1956, via une série de courts métrages, I’m no fool, diffusée pendant le Mickey Mouse Club, dans lesquels Jiminy Cricket joue au maître d’école bienveillant qui apprend aux télespectateurs à se comporter dans la rue, dans une voiture, dans l’eau… Et dans le monde merveilleux de Disney ?

  • DR visuel à la une & vidéos YouTube
Par Boris Szames