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Pourquoi les <i>enfants</i> demandent-ils toujours <i>“pourquoi”</i> ? - Doolittle
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Pourquoi les enfants demandent-ils toujours “pourquoi” ?

Dans une très célèbre chanson d’une très célèbre chanteuse française – indice : cette dernière est rousse et remplit des stades – on peut entendre “Dis maman, pourquoi je suis pas un garçon ?”. Une question que n’importe quelle petite fille peut poser à l’un de ses parents. Une question que n’importe quel petit garçon peut inverser. Vous l’aurez compris, on s’attaque nous-même à une question : pourquoi les enfants adorent tant les “pourquoi” ?

“Pourquoi le ciel est bleu ?” ; “Pourquoi le soleil se couche ?” ; “Pourquoi on ne peut pas attraper la lune ?” ; “Pourquoi les nuages ne tombent pas ?”. Des interrogations auxquelles nous aurions très fortement envie de répondre : “Pourquoi tant de questions ?”. Une période qui effraie autant qu’elle fait rire les parents, surtout lorsque les humoristes s’y attaquent. Entre Michel Boujenah – et cette troublante interrogation “Dis papa, d’où vient le vent ?”, Nora Hamzaoui qui sur Quotidien répondait il y a deux ans aux (étranges) questions des enfants, du genre : “C’est quoi une gueule de bois ? Pourquoi tout le monde dit “bonne année” ?” et Elodie Poux, ils sont nombreux. À l’image des sujets qu’abordent les enfants : des plus légers aux plus complexes, de la fabrication de ses céréales à la couleur des limaces, en passant par la sexualité et la mort, tout y passe. Pour Agnès Florin, répondre aux pourquoi d’un enfant est très important “pour le qualifier dans son rôle d’interlocuteur, lui donner le goût de participer voire de donner à son tour des explications aux plus jeunes”.

Entretien avec la psychologue et professeur émérite de psychologie de l’enfant.

“Pratiquement dès la naissance, l’enfant cherche à comprendre le monde. Vers six mois, il va commencer à pointer du doigt pour dire « c’est quoi ça ? ».”

À quel moment la “période des pourquoi” apparaît-elle ? 

Ça démarre très tôt. Pratiquement dès la naissance, l’enfant cherche à comprendre le monde. Vers six mois, il va commencer à pointer du doigt pour dire “c’est quoi ça ?”. D’ailleurs, le geste “pointage” pour demander l’information précède celui pour dire “je veux”. Il va poser un regard vers un objet – comprenant parfaitement qu’il y a des objets qui se déplacent et d’autres qui ne bougent pas – vers ses donneurs de soin (en général, ses parents) pour en savoir plus sur le monde. Il va alors se servir de ce geste de pointage qu’on appelle un référentiel, pour connaître le nom, l’explication sur ce référent. Après, vers la fin de la première année, il y a des mots qui arrivent, ce qui parfois donnent lieu à des approximations, voire des questions embarrassantes. Exemple, lorsque vous êtes dans la rue et que votre enfant vous demande “pourquoi le monsieur est noir ?”… (rires)

Ces interrogations sur le monde sont forcément formulées avec le terme “pourquoi” ? 

Non, du tout. Il y a différentes manières de le formuler. Lorsqu’il vous dit “Auto ?”, l’intonation interrogative – qui monte, donc – montre qu’il pose une question sur la voiture qui passe. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, ses questions se précisent, ses interlocuteurs se diversifient et ses sources d’information se multiplient (parents, crèche, école, réseaux sociaux, etc…). “Il arrive que les parents s’étonnent quelquefois de ces “pourquoi” répétés sur un même élément. Ce n’est clairement pas pour embêter mais un besoin d’avoir une réponse confirmée sur une question qui lui importe beaucoup.”

Vont-ils s’intéresser à un domaine en particulier ? 

Ils vont poser des questions tant sur le monde physique que sur le monde mental (le monde des pensées, le monde des personnes). Après, il peut y avoir des thèmes privilégiés selon les enfants, selon leurs centres d’intérêt, selon leur tempérament. Ça peut être les animaux, les êtres humains, les objets électriques…toute sorte de choses. Je voudrais d’ailleurs insister sur une chose : il arrive que les parents s’étonnent quelquefois de ces “pourquoi” répétés sur un même élément. Ce n’est clairement pas pour embêter mais un besoin d’avoir une réponse confirmée sur une question qui lui importe beaucoup. Ce n’est peut-être pas une question importante pour vous, mais pour eux, ça l’est. Et puis, sur des sujets plus ou moins compliqués, ils peuvent ne pas avoir une compréhension complète de la réponse que vous leur donnez, même si vous l’adaptez selon leur âge. Il y a des “pourquoi” et il y a des demandes d’explication. L’exemple le plus flagrant : le grand mystère de la naissance.

Il y a d’ailleurs des questions qui peuvent en cacher d’autres… 

Tout à fait ! Par exemple, des enfants âgés entre 5 et 6 ans, qui sont à l’école, commencent à avoir une conscience des chiffres et de leur organisation. Cette question “il y a quoi avant le zéro ?” n’est pas une question strictement mathématique. Ça revient à la naissance : qu’est-ce qu’il y a avant l’existence des choses ?

Il peut arriver que des parents bottent en touche face à certaines questions, faute de connaissances ou de temps. Quelle attitude recommandez-vous ? 

Si c’est par faute de connaissances, on dit simplement qu’on ne sait pas et que l’on va chercher l’information. Si c’est un sujet très spécialisé sur lequel maman est compétente – ou papa –, on va demander à l’autre interlocuteur de répondre. On en fait une tâche commune en quelque sorte. On va demander tous les deux à maman ou à papa, ou au boulanger, comment on fabrique le pain. C’est vraiment important de répondre, et de ne pas s’énerver. Y compris lorsqu’on n’a pas le temps : “Là, je ne peux pas te répondre tout de suite, mais dès que j’ai fini telle chose, je te réponds.” Le plus important pour un enfant, c’est de comprendre qu’il peut compter sur l’adulte. Si l’adulte n’est pas en mesure de répondre immédiatement à un besoin, il peut très bien comprendre que ça soit différé mais il faut pouvoir lui dire de combien. Sinon, l’avenir n’est plus du tout prévisible, et c’est son anxiété qui prend le dessus. “Nous ne sommes jamais découragés d’interroger le monde, d’essayer de le comprendre. Et dès que vous apprenez quelque chose, vous vous rendez compte qu’il y a encore d’innombrables choses que vous ignorez.”

Quels sont les bénéfices pour l’enfant de répondre à ses questionnements ? 

Un enfant auquel on répond, c’est un enfant qui sait que le langage ne sert pas uniquement à contrôler le comportement mais qu’il sert aussi à échanger des pensées. C’est très important pour le qualifier dans son rôle d’interlocuteur, pour lui donner le goût de participer, voire de donner lui-même des explications à un enfant plus jeune. Vous verrez qu’il utilisera les mêmes procédés que l’adulte pour s’adapter à un plus petit. 

Cette curiosité sans bornes, cette volonté de comprendre le monde, est-ce que cela se perd avec l’âge ? 

J’ai passé l’âge de la retraite et je suis toujours active en recherche. Donc, par définition, je ne pense pas. (rires) Ça ne se perd pas et selon moi, ça ne s’arrête jamais. Nous ne sommes jamais découragés d’interroger le monde, d’apprendre à le connaître, d’essayer de le comprendre. Et dès que vous apprenez quelque chose, vous vous rendez compte qu’il y a encore d’innombrables choses que vous ignorez.

Par Ana Boyrie