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Interview de la <i>cheffe</i> Claire Vallée <i>« Il y a urgence à faire évoluer notre alimentation »</i> - Doolittle
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Interview de la cheffe Claire Vallée « Il y a urgence à faire évoluer notre alimentation »

Rencontre avec Claire Vallée, cheffe du premier restaurant vegan au monde à avoir reçu, en 2021, une étoile Michelin, et qui publie un livre de recettes… idéal à offrir ou à s’offrir en vue du repas des fêtes de fin d’année !

Le parcours de la cheffe avant-gardiste et militante Claire Vallée a tout d’un scenario de film. Titulaire d’un doctorat en archéologie, elle est entrée dans le monde de la gastronomie par la petite porte – le service en salle – avant de gravir les échelons à toute allure et d’ouvrir son propre restaurant sur le Bassin d’Arcachon: ONA (pour Origine Non Animale), la première table végane au monde à avoir décroché une étoile au Michelin, en 2021. Confrontée à la grave crise du recrutement dans le secteur, elle a été contrainte de fermer ses portes. Ce qui ne l’empêche pas d’être sur tous les fronts ! À 43 ans, elle publie un livre de recettes époustouflantes, Origine non animale, pour une gastronomie végétale (aux éditions du Chêne) et travaille d’arrache-pied à la transmission de son engagement aux jeunes générations. De passage chez elle à Arès (33), entre un séjour professionnel en Corée et un départ pour la Polynésie dans le cadre de sa mission d’ambassadrice de la protection des requins-marteaux, elle nous a accordé un long échange. C’était l’occasion de la cuisiner sur les enjeux de la gastronomie végétale, à quelques jours de l’orgie annuelle de foie gras et de dinde. 

Claire Vallée, Pour une gastronomie végétale, éditions du Chêne - Doolittle

Claire Vallée, Pour une gastronomie végétale, éditions du Chêne

Tu rentres tout juste de Corée du Sud, ton voyage s’est bien passé ?

Oui ! J’y suis allée pour l’Institut Paul Bocuse. J’ai formé des étudiants à la cuisine végétale. Avec eux, nous avons créé un pop-up restaurant végétal dans lequel ils ont proposé des recettes de mon livre. Les Coréens sont habitués à l’alimentation végétale, notamment car la partie bouddhiste de la population ne mange pas de viande. Et puis il y a peu de produits laitiers en Asie. En revanche, la manière dont je travaille le végétal est quelque chose de complètement nouveau pour eux. Ils y ont été très sensibles. 

Est-ce que tu as aussi pu apprendre quelques techniques culinaires locales ?

Oui, j’ai suivi quelques cours de cuisine coréenne. J’ai découvert que leurs techniques de fermentation sont un peu différentes de celles utilisées au Japon. Je m’intéresse beaucoup à tout ça, à la façon de conserver les aliments. Avec les conséquences du réchauffement climatique, il est urgent de trouver des solutions dans ce domaine. Sur place, j’ai aussi cuisiné à quatre mains avec le chef Hawan Jung, qui a également obtenu une étoile verte au Michelin pour son restaurant Gigas à Séoul. Il a un potager fabuleux dans une ancienne ferme ! Et puis j’ai rencontré une religieuse en charge de la cuisine d’un temple. Elle m’a initiée à la cuisine méditative, cette pratique ancienne à base de plantes. Bref, j’ai vécu des grands moments !

Parmi les recettes choisies par les étudiants coréens, il y avait notamment ton foie gras végane. C’est un bon moyen de manger végétal tout en restant dans la tradition de Noël. De quoi est-il composé ? 

Le résultat est vraiment bluffant, qualitatif, gourmand. Je travaille à partir de châtaignes, de champignons, de cognac et d’autres ingrédients. Dans mon restaurant, ONA, nous préparions des ballotines de ce foie gras garanti sans gavage d’oies que les clients pouvaient emporter au moment des fêtes. Bien sûr, c’est amusant de travailler des substituts comme de la viande végétale, d’avoir l’impression d’en manger alors que ça n’en est pas. Mais c’est une première étape. Ensuite il faut aller plus loin et dépasser cela. C’est pourquoi, depuis quelques années je travaille surtout sur la place du légume. J’ai d’ailleurs publié une tribune intitulée « Œuvrons pour une nouvelle gastronomie végétale » dans Libération, fin novembre. Et quelques jours après, je participais à une conférence au Centre Pompidou sur les liens entre transition climatique et transition culturelle, en présence d’Olivier de Schutter, le rapporteur spécial sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté à l’ONU. Il y a urgence, nous devons faire évoluer notre alimentation. 

Que penses-tu de toutes ces startups qui se lancent sur le créneau de la « viande » végétale ? 

Je suis pour la fabrication de seitan (une préparation qui remplacerait la viande dans les recettes véganes, ndlr) maison. Mais acheter de la viande végétale industrielle n’a pas beaucoup de sens, à mon avis. Elles sont bourrées de graisse et de sucre, ce n’est pas bon pour la santé. Et puis leur fabrication induit des formes de souffrance humaine sur les lignes de production. D’ailleurs, mon combat n’est pas uniquement axé sur le végétal. Je n’ai rien contre les petits producteurs de viande qui essaient de faire les choses biens. Mais je me bats contre les circuits intensifs qui impliquent des conditions d’exploitation, de transport et d’abattage très dures, avec de la maltraitance animale et parfois humaine. 

En plus de ta super recette de foie gras, que vas-tu cuisiner pour les fêtes ?

Je travaille toujours avec des produits de saison. Je reviens juste de la cueillette des cèpes. Je cuisinerai peut-être des champignons ou des marrons. Quand je vois des poivrons et des courgettes en hiver je me dis que c’est vraiment une hérésie ! Ça veut dire qu’ils ont poussé sous serre, ce qui suppose une énorme consommation d’énergie. Ce type de culture est une aberration écologique. Il faut vraiment réapprendre aux enfants à cultiver un potager C’est l’avenir !

Tu es très engagée, rebelle, même. Tu sais d’où te vient cette force de caractère ?

Je suis née en Lorraine et j’ai grandi dans la Drôme, à Montélimar, dans une famille de curieux. La culture littéraire et artistique a occupé une grande place dans mon éducation car ma mère et mon grand-père étaient des artistes. Cela m’a donné le sens de l’éveil. Ensuite j’ai fait des études d’archéologie, jusqu’au doctorat, et cela m’a encore permis d’aiguiser mon goût pour la recherche et la compréhension du monde. Mais je pense que ma prise de conscience date de l’année que j’ai passée en Thaïlande, après avoir vécu dix ans en Suisse.

C’est en Suisse que tu as découvert la gastronomie, mais c’est en en Thaïlande que tu as compris que quelque chose clochait dans nos habitudes alimentaires ?

Je suis arrivée en Suisse par hasard, avec une amie, pour faire une saison. J’ai commencé en salle à Crans-Montana. Ensuite j’ai eu la chance qu’on me propose une place en pâtisserie, puis un poste en cuisine. Et quand le chef du restaurant dans lequel je travaillais est parti, le patron m’a demandé de le remplacer. On m’a laissé la cuisine et j’ai pu expérimenter ce que je voulais. Et puis j’ai eu envie de partir en Thaïlande où j’ai découvert la culture bouddhiste dans laquelle l’alimentation est très connectée à la santé. Tout ce que vous mangez, les herbes, les plantes, les légumes, les fruits, a un impact sur votre santé. Les aliments ne sont jamais choisis par hasard. Ils ne mangent ni produits laitiers, ni pain, très peu de viande. Ils ne font pas de gros repas mais mangent tout au long de la journée. Et ils consomment du piment, qui est un gros draineur. Je suis restée un an avant de rentrer en France.

Et comment es-tu arrivée sur le Bassin d’Arcachon ?

Par hasard, parce qu’il y avait une place de cheffe à Arès ! J’ai occupé le poste pendant deux ans mais comme je ne mangeais plus ni viande, ni poisson, ni produits laitiers, ça devenait dur d’en cuisiner. J’ai eu envie de me lancer et j’ai ouvert ONA.

Quels conseils peux-tu donner aux lecteurs qui vont enfiler leur tablier pour se lancer dans une de tes recettes ?

Le but de ce livre est de montrer que le végétal peut être bon, drôle, sympa, goûteux. Il ne faut pas se mettre trop de pression et se sentir libre d’adapter les recettes si on n’a pas tous les ingrédients que je recommande. Par exemple, si vous n’avez pas de poivre de Pondichéry ou telle variété de citron, utilisez ce que vous avez chez vous. L’idée était surtout de montrer que le monde végétal est très riche et qu’il offre de nombreuses possibilités.

Comment vois-tu l’avenir de l’alimentation ?

Pour moi, l’urgence c’est de former les jeunes. Le monde ne tourne pas dans le bon sens et nous devons prendre les devants en donnant des clés aux jeunes et en les épaulant pour qu’ils puissent prendre le relais. Je m’intéresse beaucoup au concept d’« économie bleue » défendu par Gunter Pauli, ainsi qu’aux réflexions sur l’économie régénérative de Cyril Dion. Je fais une cuisine à laquelle les gens ne croyaient pas il y a encore quelques années. Mais c’est en train de changer, on voit de plus en plus de végétal sur les tables. Alain Ducasse lui-même a dit récemment que le futur serait végétal !

Par Hélène Brunet-Rivaillon