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« Il ne faut pas que les boîtes à bébé deviennent une pratique courante »
La presse internationale rapporte de nouveaux exemples d’abandon de nouveau-nés dans des « boîtes à bébé ». Lancés il y a une vingtaine d’années, présents notamment aux Etats-Unis et dans une dizaine pays à travers le monde, ces dispositifs permettent à des parents en détresse d’abandonner leur enfant avec sécurité et discrétion. Membre du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, le psychologue suisse Philip Jaffé reconnaît l’utilité du système mais émet des réserves.
Les boîtes à bébé se multiplient. La hausse des prix dans le monde et la limitation du droit à l’avortement aux États-Unis suffisent-elles à expliquer l’augmentation du nombre d’abandons dans des boîtes à bébés ?
C’est une hypothèse : pendant les grands moments d’implosion économique, il y a une hausse de ce genre d’événements. Mais c’est difficile à démontrer car ça reste quelques cas. On ne passe pas de 1 à 100. Ce qui est sûr, c’est que la pauvreté est un facteur. Aux États-Unis, le recours aux baby boxes est alimenté par un contexte extrêmement restrictif qui ne fait qu’augmenter la détresse de certaines femmes qui ne peuvent pas prévoir leur grossesse. Cela pousse quelques femmes de plus à utiliser ce système.
En 2012, le Comité des droits de l’enfant s’est prononcé de manière plutôt défavorable sur le dispositif des boîtes à bébé en raison de la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 qui consacre le droit de connaître ses parents. Votre position a-t-elle évolué ?
La réponse est oui et non. La position officielle du Comité, c’est qu’aucun droit n’est supérieur à l’autre. Dans le même temps, dans ses jurisprudences, le Comité a reconnu que certains droits sortent du lot. C’est notamment le cas du droit à la vie, du droit à la non-discrimination et du droit d’être entendu. Avec les boîtes à bébé, la tension est dans le droit de connaître son identité et ses parents. Le premier droit qu’ont les bébés, c’est la protection, la vie et la survie. De ce que j’ai entendu, la protection garantie par les boîtes à bébés est suffisante. Elles sont généralement équipées de manière que les bébés survivent plusieurs heures. En Suisse, ça fonctionne. Mais c’est un phénomène qui pose problème, personne n’est satisfait du système.
La récupération idéologique des boîtes à bébés par des associations religieuses opposées à l’avortement, notamment l’association américaine Safe Haven Baby Boxes de Monica Kelsey, est-elle inquiétante ?
L’exemple américain de Monica Kelsey est caricatural. Mais même en Suisse, où les boîtes à bébé sont installées dans un certain consensus, il y a un petit fond de milieu chrétien, de gens qui se satisfont que le bébé ne soit pas avorté. À l’autre bout du spectre, c’est surtout pragmatique. C’est une réponse à la détresse d’une mère qui n’est pas soutenue par son entourage. Les mères en arrivent là en dernier recours. C’est un outil préventif à des drames, qui peut éviter des infanticides. Il ne faut pas que ça devienne une pratique courante.
Légaliser l’IVG dans ces pays permettrait-il d’éviter des grossesses non désirées et l’abandon d’enfants dans des dispositifs qui offrent de la discrétion comme les boîtes à bébé ?
En France, vous avez l’accouchement sous X qui permet la même chose. En Suisse, on ne peut pas accoucher sous X. On connaît les situations de mères désemparées qui ne peuvent pas garantir d’élever leurs enfants et qui souhaitent les offrir en adoption. Après avoir accouché, elles suivent plusieurs rendez-vous psychologiques pour s’assurer de leur décision d’abandonner leur enfant. C’est un assez bon équilibre.
Comment éduquer et sensibiliser les femmes et familles précaires afin de leur éviter de se retrouver dans une telle situation ? Quelles solutions alternatives aux boîtes à bébé préconisez-vous au Comité des droits de l’enfant ?
Nous n’avons pas de mesures précises. Nous insistons beaucoup sur les enfants et adolescentes qui pourraient tomber enceintes. Nous leur donnons toutes les options, avortement inclus s’il s’agit d’une gestation à haut risque ou que la mère nous fait part de son incapacité à porter l’enfant. C’est une évidence pour nous de respecter l’autonomie d’une quasi-adulte. La position du Comité, c’est d’accompagner et fournir toutes les aides possibles pour que la grossesse se déroule en toute quiétude. Ça peut consister en un suivi médical, socio-psychologique et social. L’exemple moderne, c’est une femme migrante de 20 ans qui arrive en France enceinte de cinq mois. On ne va pas l’accueillir de la même manière. On doit davantage l’accompagner.
Avez-vous évalué le coût d’une politique parentale sûre ?
Comme on dit en France, “les enfants sont la prunelle de nos yeux”. Dans une société qui investit dans ses membres, ça fait sens que les enfants à venir puissent naître avec le maximum de chances. Les volets hospitalier, obstétrique, gynécologique et l’accompagnement coûtent relativement peu cher. Ce qui peut coûter, ce sont les aides sociales distribuées comme les allocations contre le chômage par exemple. Le congé parental est une mesure est en débat dans plusieurs pays du monde en ce moment. Elle rassure beaucoup les mères enceintes. Les entreprises et les employeurs se plaignent que ça coûte relativement cher parce qu’il faut réorganiser les plannings – mais les bénéfices sont incommensurables.