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Quand l’esprit de <i>compétition sportive</i> rend fous les <i>parents</i> - Doolittle
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Quand l’esprit de compétition sportive rend fous les parents

À quel moment, les encouragements se transforment-ils en pression ? Parfois, les parents peinent à trouver le juste milieu quand il s’agit de soutenir leurs enfants pendant une compétition par exemple. 

“Papa n’oublie pas : je ne suis qu’un enfant, ce n’est qu’un sport, je suis là pour m’amuser, c’est nos amis, c’est “mon” match, l’arbitre est un être humain, ce n’est pas la coupe du monde.” Voici ce que les parents peuvent lire en arrivant sur les terrains de football de l’US Feurs. Le 9 décembre dernier, le club forézien présentait ce nouvel affichage, en réponse aux violences sur les bancs de touche, notamment de la part des parents. Malheureusement, ils ne sont pas les seuls. En avril 2022, Pascal Quatrehomme – président de l’ACBB (Athletic Club Boulogne-Billancourt) – prenait la décision de suspendre les entraînements afin de “sensibiliser tout le monde face à la recrudescence d’agressions verbales et physiques ces dernières semaines et face à l’agressivité de certains parents à l’égard des éducateurs.” Et le football n’est pas le seul concerné. En 2004, Nathalie Durand-Bush, professeur en psychologie du sport à l’Université d’Ottawa, associe ces comportements excessifs à l’ensemble du monde sportif :“Bien que l’on reconnaisse que les parents sont censés avoir une influence bénéfique sur le rapport au sport de leur enfant, beaucoup ont une influence néfaste.” Elle ajoute : “Ils croient souvent agir dans l’intérêt de leur enfant. Mais est-ce vraiment le cas ? Il n’est pas rare de voir des parents pousser leur enfant à la victoire à tout prix, et ce même au détriment du bon développement social et affectif de ce dernier. Combien de fois en voit-on en train de vociférer depuis les tribunes contre les entraîneurs ou harceler les arbitres ou les juges ?”

Money, money, money

Fatigués de ces hystéries, certains athlètes n’hésitent plus à prendre la parole. À l’instar d’Abby Wambach, ancienne star de l’équipe nationale féminine des États-Unis, qui en 2018 conseillait sur les réseaux sociaux que les parents sucent des sucettes pour éviter de perdre le contrôle. Et pourquoi pas ! Si ce problème ne date pas d’hier, il est nettement plus visible ces vingt dernières années. “Les salaires des athlètes professionnels ayant augmenté de façon exponentielle, de plus en plus de parents espèrent que leur enfant devienne lui aussi professionnel, explique Rick Wolff, expert en parentalité sportive. Dans les années 1960 et 1970, l’argent à gagner au niveau professionnel était nettement inférieur. La plupart des sportifs avaient d’ailleurs un deuxième emploi pendant l’intersaison afin de payer leurs factures.” Aux États-Unis, le sport chez les jeunes représente une industrie de 15 milliards de dollars. Si l’on ne connaît pas l’équivalence française, tout le monde est conscient de l’important investissement en argent et en temps que représente le sport pour les parents. Résultat : plus de pression et moins de plaisir pour les jeunes athlètes, susceptibles de se sentir dans une “position de dette”.

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Double casquette 

Autre explication de cet excès de zèle : le syndrome de réussite par procuration, que l’on retrouve en dehors du sport. La réussite scolaire ou sportive des enfants est parfois un moyen pour les parents de mesurer leur propre réussite : si mon enfant est un “winner”, alors je dois aussi être un “winner”.  “L’école est un bon exemple, à la différence qu’aucun parent ne va être présent à l’examen de son enfant, analyse Makis Chamalidis, docteur en psychologie, spécialisé dans la performance mentale et co-auteur du livre “Champion dans la tête”. Ce qui se joue ici, c’est la capacité du parent de faire son deuil de ce que lui ou elle n’a pas pu faire par le passé. Ne pas chercher à vivre, à travers le parcours sportif de son enfant.” Le parent peut être supporter, mais attention à ce qu’il n’enfile pas la casquette d’entraîneur ou pire, de juge. “Cela peut provoquer de la confusion chez l’enfant et pas qu’au moment des compétitions, poursuit le chercheur. Même au repas, l’enfant peut se demander si son père ou sa mère lui parle en tant que parent ou en tant qu’entraîneur.” De plus, cette attitude intrusive dépossède l’enfant de sa compétition : “Un enfant a besoin de s’approprier ses activités. Si le parent entre dans la danse, l’enfant peut ressentir de la honte. Comme si vos parents débarquaient à une soirée sans votre accord.”

Pas de score avant 8 ans

Au-delà de la performance, le sport est une métaphore de la vie : parfois, les choses ne se passent pas comme prévues. Apprendre à gérer la déception et la frustration est une leçon précieuse qui s’assimile bien plus facilement lorsque les parents sont dans le soutien. “Une défaite coûte chère sur le plan émotionnel, confirme Makis Chamalidis. Le jeune a plus besoin d’un parent qui va le rassurer et le réconforter.” D’autant que selon le docteur, les enfants ont un sixième sens : ces derniers sentent parfaitement lorsque leurs parents sont en train de s’exciter au bord du terrain, de s’accrocher au grillage ou de fumer clopes sur clopes. Une chose de plus à gérer : “La compétition donne suffisamment de travail à l’enfant. S’il doit en plus gérer les émotions de ses parents, ça devient dangereux.” Pour l’heure, les solutions sont peu nombreuses et les quelques mesures prises – suppression d’entraînements ou sensibilisation – ont peu d’impact. Pour Rick Wolff, il est inutile et fortement déconseillé de tenir un score pour les moins de 8 ans. “Avant cet âge, il n’y a aucune raison de compter les points, ni d’avoir une équipe gagnante ou perdante”, estime-t-il. Un premier pas, peut-être, pour que le sport reste… un jeu d’enfant.

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Par Ana Boyrie