Menu Fermer
S'abonner
<i>« Il y a une révolution à mener sur l’autisme »</i> - Doolittle
  • Societe
  • Témoignages

« Il y a une révolution à mener sur l’autisme »

Dans Pénélope, mon amour, Claire Doyon livre le récit intime et déchirant d’une mission longue d’une vingtaine d’années : délivrer sa fille Pénélope des griffes de l’autisme et la guérir d’une maladie incurable. Sensible et bouleversant, ce documentaire autobiographique brosse aussi le portrait en creux d’une cinéaste en guerre contre les « normopathes » avec une caméra pour seul bouclier. De Paris à Mulhouse jusqu’aux steppes de Mongolie, Claire Doyon piste un miracle, valsant jusqu’au vertige dans les bras de médecins, psychologues et chamanes. De retour du Festival International de Cinéma de Marseille, elle nous raconte cette épopée.

Pénélope mon amour s’appuie sur des photos et des films de famille. Quand est né le désir de « faire cinéma » à partir de ces images ?

En 2010, j’ai réalisé un moyen-métrage au cours d’un voyage en Mongolie avec Pénélope. Mon regard sur elle a commencé à changer pendant le tournage. Ma fille devenait un personnage de fiction exceptionnel. Elle me faisait penser à Lucky Luke sur son cheval. L’idée du film a ensuite surgi quand j’ai découvert une valise entière de cassettes DV dans mon placard. J’avais vingt ans de ma vie sous les yeux.

C’était difficile de rembobiner ces images ?

J’ai eu beaucoup de mal à me voir complètement aveuglée par la mission que je m’étais assignée. A l’époque, je me disais que si ma fille avait été en bonne santé pendant les deux premières années de sa vie, rien ne m’empêcherait de la sauver. J’étais une guerrière très présomptueuse.

Quand avez-vous commencé à filmer Pénélope ?

J’ai commencé à la filmer quand elle avait 3 ou 4 ans. Ces premières images devaient montrer aux éducateurs les méthodes à appliquer pour lui apprendre le langage et le comportement en société. A l’époque, il n’y avait aucun projet de film. La caméra me servait de confidente dans les moments de désespoir. Je lui parlais comme on s’adresse à un journal intime ou à un spectateur invisible. Ça m’a sauté aux yeux en découvrant les rushs. Il y avait déjà à l’époque une « intuition de cinéma ».

Comment Pénélope a-t-elle accepté la présence d’une caméra dans son quotidien ?

Pénélope a grandi avec la caméra. Quand je la filmais, j’avais l’impression de porter un regard différent sur elle. La caméra devenait presque un jouet à ses yeux. Filmer nous a aussi parfois sauvées dans des situations très difficiles, comme lorsque Pénélope a balancé son repas sur les passagers d’un train dans un wagon première classe. Il a suffi que je sorte ma caméra pour que les regards changent. La petite fille handicapée turbulente se transformait en héroïne extraordinaire.

<i>« Il y a une révolution à mener sur l’autisme »</i> - Doolittle

La voix off qui accompagne le documentaire s’est-elle imposée au montage ?

Je l’ai écrite par balbutiements. J’enregistrais des bribes d’idées chaque jour sur mon téléphone. Le monteur les raccordait à des plans, puis je les réécrivais jusqu’à ce qu’on arrive à caler la voix off avec ces images. Je me suis aussi servie de textes de l’époque où j’exprimais ma frustration et ma colère. Il fallait que je reconvoque ces émotions-là pour dessiner la trame du film. Le processus d’écriture ressemblait au final à un travail de tissage entre la voix off, les séquences où je m’adresse directement à la caméra et mes journaux intimes.

Pénélope a 2 ans lorsqu’on lui diagnostique un trouble du spectre autistique. Vous apprendrez deux ans plus tard qu’elle souffre aussi du syndrome de Rett (une maladie génétique provoquant notamment un dysfonctionnement respiratoire et une perte du langage).Quelles solutions vous propose-t-on à l’époque ?

C’était le désert total ! Le diagnostic est juste arrivé par courrier, sans aucune proposition d’accompagnement, à part une psychanalyse. Ça ne servait à rien avec le syndrome de Pénélope. Il a fallu trouver par nous-mêmes des personnes-ressources. Dans la plupart des cas, les médecins m’expliquaient que j’étais la seule à avoir des soucis. On me rendait coupable d’une relation délétère avec ma fille. Si elle avait un problème, c’était parce que mon métier n’était pas assez ancré dans le réel.

Votre documentaire brosse le portrait d’un corps médical français relativement démissionnaire, voire défaitiste, face à l’autisme. C’est pour ça que vous êtes partie aux États-Unis ?

J’avais l’impression de subir le sentiment de supériorité du corps médical français. La culpabilité qui reposait sur mes épaules devenait intolérable. Et puis, j’ai eu l’opportunité d’aller aux États-Unis. Les médecins américains ont une approche beaucoup plus pragmatique de l’autisme. Si l’enfant ne sait pas faire quelque chose, on lui apprend et on l’écoute. L’accompagnement ne peut se faire que dans une relation basée sur l’écoute. Il y a encore une révolution à mener sur le sujet en France.

Des initiatives locales existent pourtant, comme ce centre expérimental à Mulhouse où Pénélope a été prise en charge pendant longtemps…

Je l’ai amenée là-bas pour soigner son hyperacousie, c’est-à-dire une incapacité à filtrer des sons parasites. Pénélope était capable de hurler ou de se tordre de douleur quand elle entendait le bruit de certaines motos. La thérapie du Docteur Tomatis avait néanmoins ses limites.

<i>« Il y a une révolution à mener sur l’autisme »</i> - Doolittle

Vous avez aussi eu recours à la méthode ABA. De quoi s’agit-il ?

C’est une méthode comportementale dont j’avais entendu parler aux États-Unis. Elle fait aujourd’hui partie des recommandations de la Haute Autorité de Santé sur l’autisme. Ça consiste à enseigner des comportements « adaptés » en société à des personnes pour qui ces codes n’ont pas de sens : apprendre à manger, attendre le feu rouge, payer dans un magasin, etc.

Vous créez ensuite une école…

Au début, on avait embauché des psychologues qui venaient chez nous pour stimuler les capacités cognitives de Pénélope. Des amis ont créé une association pour nous aider à supporter les coûts de ce dispositif. D’autres enfants se sont greffés petit-à-petit à cette aventure, puis on a obtenu un financement qui nous a permis d’obtenir le local de MAIA (Maison pour l’Apprentissage et l’Intégration des enfants avec Autisme). Les demandes ont afflué de plus en plus jusqu’à ce que notre petit projet ne devienne une structure financée par l’État.

On ne vous entend jamais parler de handicap au sujet de la maladie dont souffre Pénélope. Pourquoi ?

C’est un mot que je n’aime pas employer en général parce qu’il me donne l’impression de réduire la personne à son handicap ou de la regarder uniquement à travers ce prisme. Pénélope me montre au quotidien une autre manière d’exister, au-delà du langage et d’une normalité qui nous obsède. Dans ce film, j’essaie d’explorer ce qu’elle fait bouger en moi.

Qu’est-ce qui vous a amené à partir en Mongolie ?

J’avais lu L’Enfant Cheval de Rupert Isaacson qui raconte le voyage d’un père et de son fils autiste en Mongolie. Dans le livre, Rupert raconte qu’un chamane du nom de Ghoste avait aidé cet enfant à se débarrasser d’un être agrippé à son corps, ce qui lui avait permis de retrouver en partie ses capacités cognitives. J’ai voulu le rencontrer à mon tour. J’ai traversé la taïga à cheval pour finir par apprendre qu’il vivait à côté de l’aéroport d’Oulan-Bator ! Ghoste m’a dit que ça ne servait à rien d’attendre de lui un miracle, soit l’inverse de ce qui se passe dans le livre d’Isaacson. De retour en France, j’ai commencé à m’intéresser à d’autres formes de communication non-verbale pour tisser un lien avec un Pénélope.

 De quels outils auriez-vous aimer disposer à l’époque ?

J’aurais vraiment aimé qu’une école comme MAIA existe quand Pénélope avait 4 ans. Les parents se sont tellement révoltés ces quinze dernières années que l’État a été obligé de financer assez rapidement plus d’une trentaine de lieux d’accueil dans Paris. Mais il reste encore beaucoup de choses à faire : développer l’accompagnement des adultes autistes, changer le regard des « normopathes » sur les personnes handicapées et ne plus cacher nos « freaks » dans des institutions à l’abri des regards…

Par Boris Szames