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Entretien avec Camille <i>Crosnier</i>, la journaliste à la barre des <i>P’tits Bateaux</i> - Doolittle
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Entretien avec Camille Crosnier, la journaliste à la barre des P’tits Bateaux

Lorsqu’elle reprend la barre des P’tits bateaux en janvier dernier, Camille Crosnier hérite d’une institution du secteur radiophonique public. Créée sur France Inter en 1997, l’émission n’a jamais changé de cap : « placere et docere », plaire et instruire. Un répondeur, des questions d’enfants et des spécialistes conviés à y répondre le dimanche à 19h30 tapantes. Comment se forment les montagnes ? Pourquoi y a-t-il des riches et des pauvres ? Pourquoi la peau se fripe quand on vieillit ? Des questions moins candides qu’on ne voudrait le croire. Près de six mois après son arrivée à bord, Camille Crosnier n’a toujours pas étanché sa soif de curiosité.

Comment êtes-vous arrivée à bord des P’tits Bateaux ?

Après le litige entre Noëlle Bréham [présentatrice historique de l’émission depuis ses débuts, Noëlle Bréham a quitté les ondes après avoir réclamé sans succès la requalification de son contrat de travail en CDI l’an dernier, ndlr] et Radio France, la direction des programmes de France Inter m’a proposé de prendre la suite à partir de janvier. Il n’était pas question que je révolutionne quoi que ce soit. J’ai tout simplement suivi la voie déjà tracée par Noëlle Bréham. C’était une position un peu compliquée pour moi, mais j’ai accepté tout de suite parce que c’est une émission super chouette qui s’adresse à tous les âges. Elle permet d’apprendre toutes sortes de savoirs et de répondre à pleins de questions avec pédagogie grâce à des spécialistes de chaque sujet abordé. Moi, je suis juste la passeuse de plats qui met en valeur les questions des enfants et les réponses des spécialistes.

Sur Twitter, vous vous présentez comme une « emmerdeuse » et une « curieuse »

Curieuse, pour Les P’tits bateaux. Je réserve mon caractère d’emmerdeuse à l’autre émission que je co-anime sur France Inter depuis cinq ans, La Terre au carré. Je suis sympa aussi ! (rires) Tout le monde est curieux, particulièrement les enfants. La curiosité ouvre des portes sur le monde, nourrit l’esprit et la personnalité. Bien sûr, on ne peut pas tout savoir. Mais il faut cultiver cette curiosité dès le plus jeune âge sous peine de devenir un citoyen renfermé.

Quel sens donnez-vous au nom de l’émission ?

À la base, le titre fait référence à la comptine : « Maman les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ? ». C’est une vraie question ! Un enfant peut très bien se demander comment un bateau arrive à naviguer. Aucune question n’est stupide en soi. Il faut toujours s’interroger. Le générique historique reprenait les notes de la comptine. La direction l’a remanié un petit peu depuis janvier pour le rafraîchir. En revanche, on a gardé le titre parce que c’est devenu une marque.

Avez-vous l’impression de prendre le relais de C’est pas sorcier ?

C’était de la science « dure ». Les P’tits bateaux n’a pas ce côté « laboratoire » avec des expériences, des mises en scène, etc. Nous, on peut parler d’Histoire comme de philosophie. Les deux émissions enrichissent l’esprit et nos connaissances, certes, mais elles ne jouent pas dans la même catégorie. Chacune est « dans son couloir ».

Comment sélectionnez-vous les questions qu’on vous adresse chaque semaine ?

Une bonne centaine de questions arrive chaque semaine sur notre répondeur. Marjorie Devoucoux les écoutes et les classe par thématique : botanique, philosophie, corps humain, etc. Nos bureaux ressemblent à une sorte d’immense discothèque. On en sélectionne ensuite cinq par émission, ce qui fait parfois des déçus. Il arrive qu’on réponde à des questions cinq ans après les avoir reçues ! La sélection se fait en deux temps : on choisit d’abord les questions en fonction des invités qui peuvent y répondre, avec le souci de la parité en tête. J’aime choisir des thématiques qui collent à l’époque ou à l’actualité, ce qu’on appelle le marronnier. Ça peut être l’intelligence artificielle, la Saint-Valentin, le baccalauréat ou l’arrivée du printemps. Il arrive aussi d’avoir de nombreuses questions sur un même thème. Marjorie compile les questions sur un sujet, puis on en soumet une cinquantaine à l’invité qui en choisit au final une dizaine. On l’enregistre ensuite pendant une heure sur ces dix questions. On les découpe, et on les classe dans une sorte de catalogue pour les avoir en stock. Chaque émission doit être variée : on peut avoir une question sur la bouffe, enchaîner avec une autre sur la philosophie puis la biologie le même jour ! C’est la force des P’tits bateaux.

Ces questions servent aussi de baromètre pour connaître les préoccupations des enfants en 2023. Qu’avez-vous observé ?

Je ne suis pas sûr que les enfants veuillent enregistrer leurs préoccupations sur un répondeur. Les 12-18 ans doivent très sûrement s’interroger des sujets intimes : la sexualité, le corps… J’aimerais beaucoup qu’ils nous les posent. Mais pour l’instant, les jeunes ados n’osent pas. Les questions sur les animaux reviennent le plus souvent : pourquoi les lions ont des crinières ? Pourquoi les mouches tiennent à l’envers au plafond ? Est-ce que les animaux peuvent avoir des jumeaux ? Est-ce qu’ils rigolent ? Est-ce que les dinosaures étaient heureux ? Mais ce ne sont pas de véritables préoccupations…

Quelle est la question la plus surprenante qu’on vous ait posée ?

Une petite fille nous a demandés s’il y avait des moules droitières et gauchères. La question était plus « intéressante » que la réponse. Un spécialiste des mollusques nous a expliqués pourquoi certaines s’ouvrent à droite, d’autres à gauche. Une autre petite fille nous a demandés pourquoi une femme se fait toujours couper en deux dans une boîte par un homme au cirque. Un spécialiste du cirque nous a appris qu’au départ on assignait le numéro à des jeunes hommes. Ce genre de question soulève de vrais sujets de société.

Une partie des réponses apportées dans Les P’tits Bateaux sont disponibles aujourd’hui sur Internet. Pourquoi les enfants passent-ils encore par l’intermédiaire de la radio, selon vous ?

J’ai fait cette remarque à une jeune fille il y a deux ou trois semaines. Elle nous demandait quelle pièce avait été la plus jouée à la Comédie-Française. J’ai rebondi en la félicitant de ne pas être allée chercher la réponse sur Google. Les parents poussent très sûrement leurs enfants à laisser leurs questions sur le répondeur de l’émission. Le côté un peu fun participe aussi de l’engouement des jeunes : « Tiens, je vais poser une question à la radio, comme ça je vais entendre ma voix. » C’est enthousiasmant de savoir qu’on fait venir un(e) spécialiste pour répondre à sa question. Et puis, ça impressionne les copains et les copines dans la cour de récré. Peut-être qu’entretemps l’enfant sera passé par Google pour avoir la réponse. Malgré tout, on pose encore des questions à la radio sur le répondeur des P’tits bateaux en 2023. Et ça, ça donne de l’espoir !

Vous devez aussi faire des heureux du côté des parents, justement…

Pas encore plus tard que ce week-end, une voisine de ma sœur, avec mes neveux et nièces, m’a dit : « J’écoute tous les soirs. Je suis trop fan ! » Je lui ai demandé si elle ne m’en voulait pas d’avoir remplacé Noëlle (on a reçu beaucoup de messages d’auditeurs qui regrettaient son départ) et elle m’a répondu : « Non, non, t’es super rigolote avec tes blagues. J’aime bien le nouveau générique. » Les parents sont aux anges parce que leurs enfants apprennent pleins de choses. Un père de famille m’a écrit un jour pour me signaler que certains spécialistes s’exprimaient parfois avec un langage un peu trop adulte. J’essaie toujours de demander à nos invités de répondre aux questions comme s’ils s’adressaient à un enfant de huit ans. On se doute que les parents doivent parfois réexpliquer un peu après l’émission. Notre but, c’est aussi de susciter une conversation, que ça soit en voiture ou à la maison. Ça reste une émission intergénérationnelle et familiale, un petit plaisir qu’on écoute pendant une demi-heure et dont on sort avec le sourire.

  • Les grands et petits enfants peuvent déposer leurs questions sur la messagerie des P’tits bateaux au 01 56 40 43 57
  • Retrouver les replays des émissions ici 
  • Visuel à la une Camille Crosnier ©Radio France – Christophe Abramowitz
Par Boris Szames