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Un homme et un <i>couffin</i> : Jimmy Gomez, le député américain qui s’affiche avec son bébé à l’<i>assemblée</i> - Doolittle
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Un homme et un couffin : Jimmy Gomez, le député américain qui s’affiche avec son bébé à l’assemblée

Se rendre à l’élection du président de la Chambre des représentants ou s’occuper de son fils en bas âge ? Un député américain a choisi de faire les deux, entamant une petite révolution… en porte-bébé. Une image forte qui confirme l’évolution de la figure paternelle et l’implication grandissante des pères dans l’éducation des enfants.

Qui aurait pensé qu’un porte-bébé puisse enflammer les réseaux sociaux ? Le 6 janvier dernier, tandis que des élus républicains tentaient une nouvelle marche arrière sur le droit à l’avortement, un “congressman” commence une petite révolution. Son nom : Jimmy Gomez. C’est lors d’une séance historique où Hakeem Jeffries est devenu le premier homme noir élu président de la Chambre des représentants que l’élu démocrate de Californie s’est affiché, gardant avec lui son fils de quatre mois, Hodge, en porte-bébé. Quelques jours avant, le représentant postait sur Twitter une photo de Gomez Junior entouré de deux biberons, de multiples couches de rechange, le tout déposé sur le sol moquetté du Capitol. “Ce vote prend une éternité”, légendait alors le jeune père. En-dessous de ce tweet : 45 000 petits cœurs. Depuis, l’homme politique fait de sa profession une vitrine pour l’égalité : qu’il soit en visioconférence en train de lui donner le biberon, au Congrès en train de changer sa couche ou en interview sur CBS, Hodge n’est jamais très loin. Jimmy Gommez n’est d’ailleurs pas le seul à promouvoir ce nouveau modèle de père kangourou dans l’enceinte du Congrès. C’est aussi le cas du représentant du Texas Joaquin Castro, ou de celui de Géorgie Phil Olaleye.

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“C’est le lien avec l’enfant qui fait désormais le père” 

Jusqu’ici, seules les femmes s’affichaient avec leurs bébés dans des assemblées. On se souvient notamment de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern qui, en 2018, défrayait la chronique pour avoir amené son bébé de trois mois à l’Assemblée des Nations Unies (ONU). Le geste du député américain est-il alors un grand pas pour l’homme ? Incontestablement, selon Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS et auteure de L’instinct paternel (2019). “C’est un petit coup de poing donné par une nouvelle génération de pères qui disent : “Nous aussi, on peut combiner le soin et le travail.” C’est également une manière de dire que le travail n’est pas aussi important qu’on le pense, au point d’exclure tout ce qui relève du soin, de l’éducation et de l’enfant.” En agissant de la sorte, Jimmy Gomez défend les droits des femmes et lutte contre les structures et institutions qui véhiculent une “domination masculine”. “Cette paternité institutionnelle a été remplacée par une paternité relationnelle et impliquée, poursuit la sociologue. Autrement dit, l’homme est présent. Il n’est plus uniquement dans la sphère publique et la femme dans la sphère privée. Il s’implique autour de la naissance, il s’occupe de la toute petite enfance. Aujourd’hui, c’est le lien avec l’enfant qui fait désormais le père, alors qu’avant c’était son rôle.”

Des patriarches aux papas poule 

L’irruption des papas poule ou de ce nouveau modèle de père kangourou – si l’on fait référence au porte-bébé – est assez récente. Celles et ceux nés dans les années 1950 ou 1960 se souviennent d’une figure paternelle autoritaire, distante et souvent absente car apparemment trop absorbée par ses obligations professionnelles. Soi-disant les qualités d’un bon chef de foyer, dont le principal devoir était de subvenir aux besoins financiers de sa famille. Pour ce qui est de l’affection et de la proximité, les femmes sont là… “Il faudra attendre le mouvement de libération des femmes dans les années 1970 pour voir apparaître des transformations profondes, analyse Christine Castelain-Meunier. Notamment dans les rapports de pouvoir au sein des couples.” Autre évolution dans les années 1990 où l’on observe une diminution de la puissance paternelle remplacée par le principe de coparentalité. Les années 2000 sont quant à elles marquées par les défenseurs du premier congé de paternité auprès du ministère délégué à la Famille. “Les formes plurielles de parentalité – par exemple l’homoparentalité – ont également participé à cette évolution du rôle du père et de ce qu’il incarne, reprend la sociologue. Et plus récemment, la question du genre. À partir du moment où celle-ci évolue, ce que la mère ou le père incarne évolue de la même manière.”

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James Bond en porte-bébé

Si le porte-bébé de Jimmy Gomez est une avancée, la route est encore longue. Il y a cinq ans, une photo de Daniel Craig en porte-bébé suscitait des commentaires amers : “Oh 007… pas toi aussi ?!”, s’était alors exclamé le présentateur britannique Piers Morgan. Le tout accompagné du hashtag #emmasculatedBond. Autre exemple frappant : sur une grande majorité de sites proposant un large choix de porte-bébés ou d’écharpes, la plupart des mannequins sur les photos officielles sont des femmes – à l’exception de quelques t-shirts kangourou ou sweats à capuche de portage, exposés sur des top modèles hommes. “Preuve que s’occuper du petit est encore quelque chose qui est fortement attribué aux femmes, par opposition à cet idéal viril fondé sur la domination, la force, la compétition, la performance, la destruction par la guerre, etc.” Pour les masculinistes, si l’on “féminise” l’homme, ce dernier perd de sa virilité. Pourquoi ? “Car la virilité s’est définie par opposition à la féminité associée par les masculinistes à la vulnérabilité, explique Christine Castelain-Meunier. Les passerelles entre virilité et féminité sont donc encore très bloquées.” 

Retour au Capitol. Le baby-buzz passé, Jimmy Gomez profite d’être sous les projecteurs pour cofonder le 2 février dernier, le “Congressional Dads Caucus”. Un groupe de 20 démocrates, visant à faire avancer des politiques telles que l’abordabilité des services de garde d’enfants – que les femmes réclament depuis des années – le congé familial et médical payé ainsi qu’un crédit d’impôt élargi pour les enfants. “Le concept du Congressional Dads Caucus est simple, a déclaré le représentant lors d’une conférence de presse. Les hommes doivent assumer leur part équitable de responsabilité dans l’éducation des enfants – et défendre des politiques susceptibles de changer la vie des parents travailleurs.” Peut-être verra-t-on un jour Gérald Darmanin – papa d’un petit Alec depuis septembre – arrivé en porte-bébé à l’Assemblée ? Sait-on jamais…

Par Ana Boyrie