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Rendre nos <i>enfants</i> heureux… <i>à tout prix</i> ? - Doolittle
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Rendre nos enfants heureux… à tout prix ?

Beaucoup de parents le disent : dès que leurs yeux se sont posés sur leur enfant, ils étaient prêts à tout pour que ce dernier soit heureux. Une intention noble et légitime mais qui, si elle en devient un dogme, peut s’avérer contre-productive. Eh oui !

À la question “que souhaitez-vous par-dessus tout pour votre enfant ?”, tous les parents se ressemblent. Tous répondent sans exception et sans hésitation : son bonheur. Un sondage, réalisé par Philosophie Magazine en 2009, confirmait déjà la tendance. “Interrogés sur ce qu’ils désiraient le plus pour leurs enfants, des parents avaient tous répondu en premier : qu’ils soient heureux”, se souvient Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre et auteur du livre Comment survivre à ses enfants ? Ce que la parentalité positive ne vous a pas dit. Ce qui semble aller de soi aujourd’hui ne l’était pourtant pas autrefois. Le spécialiste rappelle que la notion même d’enfant, et de son bonheur donc, est une découverte récente – s’inscrivant dans la société industrielle – qui s’est incroyablement accélérée ces dernières années. “À l’époque, la mortalité étant bien plus importante, on se souciait bien moins des enfants, déclare-t-il. Avec l’arrivée de la contraception, l’enfant est devenu un projet qui s’insère dans l’histoire d’une famille, il devient quelque chose de réfléchi.” Aujourd’hui, les Françaises deviennent mères de plus en plus tard – 30,9 ans selon l’Insee – et ont de moins en moins d’enfants. “On est en dessous du seuil de reproduction, moins de deux, précise le pédopsychiatre. Quand vous n’avez qu’un enfant, vous n’avez pas de “seconde chance”. Dans ce contexte, le bien-être de votre enfant devient presque un objectif. C’est une pression supplémentaire.” 

Son bonheur pour votre bonheur ? 

Sans surprise, les réseaux sociaux ont amplifié cette pression. “Ce sont aussi les réseaux sociaux qui ont créé tout ce mouvement de la parentalité positive ou bienveillante, indique Patrick Ben Soussan. C’est même devenu une poule aux œufs d’or pour un certain nombre de personnes qui s’autoproclament coachs en périnatalité et parentalité.” Résultat : il est désormais possible d’assister à des ateliers ou à des cours qui pour la bagatelle de 400 euros vous apprennent à “être de bons parents”. Un bon père ou une bonne mère serait donc celui ou celle qui cherche à rendre son enfant heureux. Au risque, selon le pédopsychiatre, d’en faire un enfant roi. “Il y a cette phrase célèbre de Freud “His Majesty The Baby” : sa majesté le bébé qui ne vit que dans le désir de tout parent, poursuit-il. On construit un bébé imaginaire qui ne sera jamais malade, qui n’aura jamais de problèmes sociaux, qui ne connaîtra que les bonheurs de la vie et qui, en gros, réalisera tous les désirs que nous, parents, avons eus mais que l’on n’a pas pu réaliser. L’enfant ne serait dans ce cas que le prolongement narcissique du parent, il serait là pour que le parent continue à s’aimer lui-même.”  Une réflexion peu valorisante et quelque peu déprimante. Si rendre heureux son enfant est un désir légitime, attention à ce qu’il ne devienne pas une injonction, dépendant soi-disant de “moyens” dont les parents doivent se saisir. Un raisonnement préjudiciable, selon Patrick Ben Soussan : “Ça laisse penser que les parents ont tout pouvoir sur leur enfant, estime-t-il. Dans ce cas, les enfants ne seraient que de simples marionnettes. Or, on sait aujourd’hui que ça ne fonctionne pas comme ça. L’enfant naît avec des prédispositions, des caractères et des potentialités. Quand les parents disent vouloir le bonheur de leur enfant, la question qu’ils doivent se poser, c’est “quel bonheur veulent-ils ?”. Est-ce le bonheur de leur enfant qu’ils veulent ou est-ce leur propre bonheur via leur enfant ? Ce n’est pas la même chose.” 

Rendre nos <i>enfants</i> heureux… <i>à tout prix</i> ? - Doolittle

La sobriété parentale  

Le message est clair : le rôle d’un parent n’est pas tant de rendre son enfant heureux, mais de l’accompagner vers la voie de la recherche de son propre bonheur. Créer les conditions qui lui permettront d’accéder à ce qui sera, pour lui, le bonheur. “Pour cela, il lui faut un cadre où il est protégé, sans tomber dans le modèle surprotecteur des parents qu’on appelle “hélicoptères”, avertit le pédopsychiatre. Il faut lui montrer combien vous avez de l’estime pour lui, combien vous le pensez capable de transmettre des “valeurs familiales”. Une fois que vous avez défini ce cadre, c’est à lui de jouer. En gros, vous lui filez les pierres, c’est ensuite à lui de se construire une hutte, un château voire une cathédrale.” Mais attention, trop point n’en faut. Attention à ce que l’enfant ne sente pas ses parents incapables d’être heureux sans lui. “Je me souviens d’une Autrichienne qui avait écrit que nous étions rentré dans une ère où on aimerait trop l’enfant aujourd’hui, on leur donnerait trop d’amour, trop d’attention, de présence, de cadeaux…, lance le pédopsychiatre qui travaille actuellement sur un ouvrage prônant la “sobriété parentale”. Ce qui fait le plus de mal aux enfants, c’est le trop. C’est l’excès. Selon moi, il faut revenir à des notions plus “sages”, plus équilibrées.” 

Par Ana Boyrie