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Mais pourquoi a-t-on aussi peur du loup ?
Comment il s’est mis au régime, pourquoi il est devenu garou, quand ses défenseurs écolo ont perdu la tête, qui est la bête du Gévaudan… Michel Pastoureau, historien médiéviste, auteur de Le loup, une histoire culturelle, vous dit tout, vraiment tout sur cette créature redoutable qu’est le loup.
Pourquoi le loup a-t-il un statut si spécial dans l’imaginaire collectif occidental ?
Il n’a pas vraiment un statut à part. Aux côtés du sanglier, du cerf ou de l’aigle, il fait partie d’une douzaine d’animaux qui jouent un rôle particulier sur le plan de l’imaginaire et des symboles. Il est même une des vedettes du trio de tête, avec l’ours et le corbeau. Cela s’explique tout simplement par le fait qu’il a été très proche de l’homme dans la vie des campagnes et qu’il a inspiré une grande peur pendant très longtemps.
Mais pourquoi a-t-il systématiquement des connotations négatives ?
Il est dangereux. Les seules qualités qu’on lui reconnaît, du point de vue symbolique, c’est d’une part sa force, sa férocité, son endurance, c’est ainsi qu’il peut être admiré des guerriers. De l’autre côté, on considère que la louve est féconde et nourricière, comme dans la mythologie romaine. Dans l’Antiquité, où il est déjà abondamment mentionné, il n’est pas encore considéré comme redoutable, car il s’attaque alors plus au bétail qu’aux humains. Cela évoluera au Moyen-Âge, alors que la forêt regagne du terrain, que les animaux sauvages sont plus proches des villages, et que la peur du loup est vraiment tangible. C’est là où se construit ce tableau très négatif de l’animal sur le plan symbolique. Par la suite, on aura du mal à le changer.
Le loup est réellement dangereux. C’est la seule espèce animale qui attaque l’être humain.
Pourquoi le loup incarne-t-il systématiquement la peur dans les contes ?
Tout simplement parce qu’il est la peur personnifiée ! Il y a des raisons objectives et physiques : l’animal est réellement dangereux. C’est la seule espèce animale qui attaque l’être humain. Les sangliers et les ours par exemple, ne s’en prennent jamais directement aux hommes. Une vraie peur a longtemps régné dans les campagnes, chez les adultes comme les enfants. Elle a lentement diminué à mesure que les loups se faisaient plus rares. Il y a toujours un lien entre la crainte du loup dans les récits et son véritable comportement à des époques données. La littérature et les contes en ont conservé des traces symboliques pendant très longtemps.
En dehors des contes, le loup peut-il vraiment s’attaquer à l’homme ?
C’est une évidence ! Un certain nombre de défenseurs du loup, écologistes ou zoologues, soutiennent qu’il ne s’en prend qu’au bétail. Mais ils confondent les loups d’hier avec ceux d’aujourd’hui, qui en effet ne s’attaquent pas aux humains. Ce ne sont absolument pas les mêmes. Les espèces se sont modifiées – c’est tout l’apport de Darwin –, de même que les conditions de leur comportement. Ils se raréfient, leur régime alimentaire a évolué, la rage a disparu, il est devenu bâtard, en partie sous l’influence des humains. La déforestation a également joué un grand rôle. Et évidemment, la vie dans les campagnes n’a rien à voir avec celle du Moyen-Âge.
Dans le Roman de Renard, le loup est tourné en ridicule, est-ce une exception ?
Vil, idiot, couard… Ysengrin cumule en effet tous les vices, mais cela est tiré de l’observation du véritable comportement des loups. Le caractère lâche du personnage par exemple vient du fait que cette espèce attaque en meute, jamais seul. Même observation avec son usage de la ruse – il se cache sous une peau de mouton –, cela pourrait être valorisé aujourd’hui, mais était une caractéristique abominable à l’époque. Ce texte, issu de la littérature savante et non populaire comme on le croit bien souvent, correspond à un moment où le loup, en recul pendant trois siècles, est moins dangereux. Et le rendre ridicule est un moyen de conjurer la traditionnelle peur du loup.
Qu’est ce qui relève du mythe et de la réalité dans l’affaire de la bête du Gévaudan ?
Ce n’est pas un mythe, cette affaire a réellement existé. Pendant trois ans, de 1764 et 1767, une bête monstrueuse a tué 120 personnes, d’abord en Lozère puis dans plusieurs endroits très éloignés les uns des autres en France. Le dossier n’a jamais été résolu et les historiens restent prudents. L’hypothèse la plus probable est que plusieurs animaux, loups ou énormes chiens, ont été manipulés par des humains dégénérés qui ont perpétré des actes de barbarie. Il n’est pas possible que les loups aient été seuls. Il faut rattacher cet épisode à d’autres grandes peurs qui ont agité les campagnes européennes à la veille de la Révolution française, comme celle autour du pain.
Comment est né le loup garou ?
Il vient de loin, il vient à la fois des traditions antiques grecque, romaine et scandinave. Le loup a alors à voir avec la métamorphose et le déguisement. On considérait que ce personnage avait des rapports privilégiés avec les forces du mal. Des personnages inquiétants étaient censés entretenir des rapports privilégiés avec le diable, les forces du mal. Puis on a raconté que certains d’entre eux devenaient des bêtes sauvages la nuit, spécialement les nuits de pleine lune. Ces histoires se sont transmises jusqu’à l’époque moderne. Elles ont alors acquis un lien avec la sorcellerie, à cette époque, l’idée est née que les loups garous servaient de montures aux sorcières pour aller adorer le diable.
De la psychanalyse des contes de fée de Bettelheim au loup de Tex Avery, pourquoi le personnage du loup a-t-il une connotation sexuelle ?
Dans le cortège de vices attribués au loup, la lubricité s’est ajoutée à tout le reste. D’ailleurs en latin, c’est le même mot qui signifie loup et prostituée, d’où le terme français de lupanar. Il y a aussi l’idée que les loups males sont attirés par les jeunes filles. La psychanalyse et Bettelheim ont imaginé cette histoire à partir d’un conte qui est très ancien. Mais il ne faut pas oublier que la psychanalyse est un outil de notre temps pour analyser notre temps, et que c’est le patient qui doit parler de lui-même alors qu’à ces périodes anciennes, ce sont d’autres qui parlent pour vous. Je ne suis donc absolument pas convaincu. Et effet, le rouge est la couleur de la sexualité, mais si cette dimension de symbolique des couleurs existait dans le conte, le chaperon devrait alors être vert, car c’est traditionnellement la couleur de l’éveil à la sexualité. Je ne mettrais pas le loup de Tex Avery sur le même plan, c’est une adaptation du Petit chaperon rouge qui date des années 1940, et à travers ce personnage lubrique et dragueur, c’est une sexualité qui fait rire.
Aujourd’hui, le loup s’affiche sur des logos et est devenu gentil dans les histoires pour enfants, que s’est-il passé ?
Il y a eu un renversement assez rapide au début du XIXe. Le loup devient moins dangereux, les modes de vie changent, Pasteur met au point le vaccin contre la rage. Globalement, la peur du loup est en recul. Alors le grand méchant loup devient gentil, la louve de Rudyard Kipling recueille Mowgli, et plus tard le marketing et la publicité s’en emparent. On inverse même les histoires anciennes : aujourd’hui ce sont les trois méchants cochons face au gentil loup. Cette figure qui a tant fait peur n’effraie plus. C’est presque comme si la société contemporaine considérait qu’elle devait réparer les erreurs de ses ancêtres vis-à-vis de l’animal.
Que penser de la réintroduction du loup en France ?
Le loup s’est réintroduit tout seul ! Cette espèce protégée est venue d’Italie ou d’Europe plus lointaine via les Alpes. Je note plusieurs éléments bizarres. Je comprends tout à fait la position des bergers dont les troupeaux se font attaquer, mais tout de même c’est un peu ridicule de s’en étonner, les loups l’ont toujours fait. Par ailleurs, je ne comprends pas ce droit dont ils bénéficient de tuer un certain pourcentage de loups, déterminé par la loi. Cela me paraît totalement absurde.
Il semble que la position de certains écologistes vous gêne.
Ce qui me dérange vraiment en effet, c’est qu’une partie des écologistes avocats du loup ont accusé les historiens de mentir et soutiennent que les loups n’ont jamais attaqué l’homme. Alors que de très nombreux documents historiques recensant les morts dans des attaques de loup disent le contraire ! On peut dire que les historiens sont nuls, mais accuser les documents historiques de mentir… Un collègue de l’université de Caen, grand spécialiste du loup, a même été agressé physiquement. Des menaces de mort ont par ailleurs été proférées. Cela m’inquiète beaucoup, on ne supporte plus l’idée que, dans le passé, on ne pensait pas comme nous, on juge tout à l’aune de nos valeurs du présent. C’est du pur ethnocentrisme de penser que nos savoirs actuels sont des vérités, alors que très probablement, dans un siècle, les scientifiques riront aux larmes au sujet de ce que nous pensons aujourd’hui.
- Gravures issues de Biodiversity Heritage Library.