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<i>« Les femmes iraniennes sont très puissantes »</i> - Doolittle
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« Les femmes iraniennes sont très puissantes »

Originaire de Téhéran, la cheffe Minou Sabahi a quitté son pays natal avec sa famille à l’âge de 6 ans pour émigrer aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, puis en France. À 34 ans, elle a déjà un parcours hyper solide et son style culinaire a conquis des figures incontournables de l’hospitality et de la gastronomie. À l’image d’Adrien Gloaguen, le fondateur du groupe hôtelier Touriste, qui lui a confié les manettes de la table de L’Hôtel Bienvenue. Aujourd’hui installée au bord de la Méditerranée, elle nous parle de son ingrédient préféré : la liberté. 

Bonjour Minou, il parait que tu as posé tes valises dans le Sud ? 

Oui ! J’ai quitté Paris il y a 8 mois et depuis je vis à Marseille. Au départ, je suis venue ici en résidence à la table d’hôtes Camas-Sutra, pendant deux mois et demi. Et ensuite j’ai décidé de rester un peu plus longtemps et j’ai fait de belles rencontres. Comme les projets affluent de tous les côtés, je reste !

C’était comment le Camas-Sutra ? 

C’est une table d’hôtes très intime, de 14 à 17 couverts, et la cuisine se trouve dans la pièce-même où les gens viennent dîner. Ils peuvent voir ce qu’on cuisine et poser quelques questions, tout en respectant notre travail. Je proposais un menu dégustation en cinq étapes, très inspiré des saveurs persanes. Mais on y trouvait aussi mes autres influences. Je suis amatrice de cueillette sauvage et je développe de plus en plus ma cuisine en choisissant des ingrédients végétaux plutôt que des viandes et des poissons. J’aime montrer aux gens qu’on peut très bien manger, à satiété, en consommant moins de viande et de poisson. 

Ça bouge en cuisine à Marseille ?

Oh oui ! Il y a deux ans il n’y avait rien. Il y a eu un essor assez fort ces deux dernières années et ça ne s’arrête plus. C’est un dynamisme qui fait du bien. On me propose beaucoup de choses mais je n’accepte pas tout. Je décide de faire des résidences dans des lieux qui ont une âme et avec des gens qui incarnent leurs lieux. 

Où est-ce qu’on peut te trouver en ce moment ?

Je vais cuisiner avec ma mère pour l’ouverture d’un lieu qu’ouvre une amie très chère : l’Atelier Renata. C’est une amie italienne qui a grandi à Venise avec sa grand-mère maternelle. Elle a créé une table d’hôtes où elle invite des mamans et des cuisiniers italiens à cuisiner de la cuccina povera. Les 6 et 7 décembre prochain, je vais réaliser des repas traditionnels iraniens à quatre mains avec ma mère. Ensuite je serai en résidence chez Provisions, l’épicerie-librairie d’une autre de mes amies. Je ferai aussi des plats iraniens, notamment des soupes et des ragoûts, c’est la saison !

Cachi al rum al zafferano - Kaki au sirop léger de safran, vanille et rhum - photo @minousabahi - Doolittle

Cachi al rum al zafferano - Kaki au sirop léger de safran, vanille et rhum - photo @minousabahi

Une assiette réalisée avec des petits pois crus, des pétales de tulipes, de la carotte sauvage, de la glycine, du pamplemousse, de la fleur d'oranger... - Doolittle

Une assiette réalisée avec des petits pois crus, des pétales de tulipes, de la carotte sauvage, de la glycine, du pamplemousse, de la fleur d'oranger...

Le voyage occupe une place importante dans ta vie et dans ta cuisine. Quels sont les pays qui t’inspirent le plus ?

Je voyage le plus possible ! J’aime le Viêtnam, le Canada – même si, à part les tartes aux pommes, ce n’est pas le pays le plus intéressant pour la cuisine, mais aussi l’Italie et les régions de France. Ma cuisine est aussi empreinte de mes voyages. 

Tu séjournes parfois en Iran ?

Je devais y aller en novembre pour écrire un livre sur la cuisine régionale iranienne. L’idée était de noter les recettes qui se transmettent de mères en filles. En Iran, la cuisine est une des plus belles manières de montrer son amour. Je voudrais pouvoir y retourner pour voir ma grand-mère. 

Justement, elles sont comment les femmes de ta famille ? 

Très fortes ! Les hommes de ma famille les vénèrent. Mes premiers souvenirs d’enfance sont dans les pattes des femmes, en train de nettoyer les herbes, de préparer des tonneaux de pickles de cornichon pour nourrir des hordes de gens. Car en Iran on est toujours quinze ou vingt à table ! Le rôle des femmes est cloisonné, elles restent à la maison. Mais elles ne sont pas dociles pour autant. C’est très paradoxal car les Iraniennes ne sont pas libres mais elles sont très puissantes en réponse à cette oppression. Dans mon éducation c’est aussi ce qui m’a été transmis. Mes parents ont quitté l’Iran pour que mes sœurs et moi ayons la chance de vivre pleinement cette liberté qui ne nous était pas offerte dans notre pays natal. Et ça, ça t’impacte dès l’enfance. Mais les femmes iraniennes sont très fortes et s’opposent à la répression en revendiquant une liberté qu’on ne leur enlèvera jamais. Elles affirment cette liberté, qui est plus forte que le régime et les coups de fusil. Que la révolte ait été initiée par des femmes ne m’étonne pas du tout !

@Pascal Montary  - Doolittle

@Pascal Montary 

D’autant qu’elles n’ont pas toujours été privées de ces libertés…

Avant le régime islamique, l’Iran était un pays totalement libre où les femmes vivaient, dansaient, chantaient, buvaient. On a retrouvé des archives de clips en noir et blanc sur lesquels on voit des vieilles chanteuses persanes qui prennent des shots avec des mecs ! D’ailleurs, aujourd’hui encore, la vie underground en Iran est très riche. Mais plus tu essaies d’enfermer les gens, plus ils voudront casser les chaines. Et aujourd’hui les jeunes n’ont plus envie de se cacher.

En France et un peu partout dans le monde, il y a beaucoup de sexisme en cuisine. Est-ce que c’est quelque chose que tu as vécu ?

C’est justement car il y a encore beaucoup de sexisme que je n’ai pas voulu suivre un parcours classique. Je n’avais pas envie d’être traumatisée, ni blessée, ni de devoir me reconstruire après de mauvaises expériences comme des agressions physiques ou de travail dans un environnement toxique. C’est pourquoi j’ai tracé mon propre chemin, notamment en travaillant aux Pères Populaires. 

C’est dans cette institution du XXe arrondissement de Paris que les gens ont découvert ta cuisine. Tu en gardes un bon souvenir ?

Oui ! C’est une expérience qui a été décisive. À l’époque, c’était un lieu qui donnait le ton pour les années qui ont suivi dans le reste de la restauration, avec des menus pas très chers, de la cuisine de saison et des bons produits bio. C’étaient les précurseurs. Ils faisaient confiance à des gens qui avaient peu d’expérience et ils nous donnaient carte blanche. Ce n’était pas facile car nous étions peu nombreux en cuisine et qu’il fallait envoyer beaucoup de couverts en respectant des costs assez bas mais c’était très formateur. Dans certains établissements, les chefs briment la créativité et ça t’enferme. Chez Les Pères pop’, au contraire, on nous encourageait à nous ouvrir, à tester des choses. J’ai aussi beaucoup appris de mon expérience chez Fulgurances. Les grands restaurants c’est bien pour la technique, parce que c’est rigoureux et qu’on te montre les les base de la cuisine, qui sont très importantes pour pouvoir ensuite avancer. Mais ça peut aussi complètement brimer les gens. 

J’ai une question pourrie pour la fin : ça fait quoi de s’appeler Minou quand on est née au pays des Shahs ? 

J’adore ce que mon prénom provoque chez les gens ! Il y a une proximité immédiate, on se dit que je dois être sympa, que c’est trop mignon et on est amis en trois minutes.

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  • Photo à la une @Pascal Montary
Par Hélène Brunet-Rivaillon