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C’est quoi, une <i>« daronne féministe »</i> exactement ? - Doolittle
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C’est quoi, une « daronne féministe » exactement ?

Dans son parcours de mère, Fabienne Lacoude, autrice du livre Daronne et féministe (Solar Editions) et fondatrice de MILF, média féministe dédié à la maternité, a rencontré une dépression post-partum et le féminisme, entre autres. Retour en interview sur son parcours et sa définition de la daronne féministe. 

C’est en devenant mère que vous vous êtes découverte féministe ?

Avant, j’avais une conscience féministe assez faible. Grâce à la maternité, je me suis rendue compte que certaines situations ne révélaient pas de trajectoire individuelle mais de faits plus collectifs, plus sociétaux. Mon post-partum a été compliqué, avec une dépression, qui m’a amenée à être hospitalisée avec ma fille pendant quelques mois. Je pensais que j’étais responsable de ce mal-être. Une fois sortie de cette étape d’auto-flagellation, j’ai commencé à aller mieux, trouvé ma propre identité de mère et essayé de me débarrasser des injonctions diverses. Surtout, j’ai compris que je n’étais pas la seule à vivre ça et que ce n’était pas uniquement psychologique. Il y a un aspect sociétal dans la pression qu’on met sur les mères de famille et le niveau d’exigence attendu. Je ne me reconnaissais pas dans les stéréotypes qui entourent l’image de la mère parfaite et c’est encore le cas.

Quels sont les combats de la daronne féministe ?

C’est variable, tout le monde n’a pas les mêmes priorités. Cela va d’éduquer les enfants le plus loin possible des stéréotypes de genre à défendre des modèles de famille moins hétérocentrée en passant par militer pour une vraie égalité dans les couples hétérosexuels ou remettre en cause la prise en charge des enfants via les structures éducatives. Il y a l’idée qu’on est aussi une femme quand on est mère. On voudrait pouvoir s’émanciper à côté, en dehors, malgré ou grâce à ce rôle et pouvoir l’exprimer. En fait, c’est compliqué de trouver son propre style. Il y a beaucoup de guerres de chapelle quand il s’agit de maternité. Je milite aussi pour le retour de la sororité et de l’entraide. Pour moi, la maternité est un point d’entrée qui soulève des problèmes beaucoup plus larges dans la société. Notamment celui du temps qu’on consacre aux enfants, du temps pour soi ou pour son travail. On entend beaucoup parler de conciliation vie pro-vie perso. C’est important de réussir mais il faudrait remettre en question le système ultra libéral et capitaliste dans lequel on vit qui nous oblige à concilier des choses qui inconciliables dans les conditions actuelles. 

Quels seraient les obstacles majeurs à l’idéal de la daronne féministe ?

Le fait que ce soit un idéal, justement ! Nous ne devons pas remplacer l’idéal de la bonne mère sacrificielle qui fait tout et bien par l’idéal de la mère féministe. Personnellement, je plaide pour une diversité d’expériences. Je vois plus d’horizon dans l’émancipation de toute forme de modèle, que dans un nouveau modèle, fut-il progressiste. Nous sommes des humaines, et les relations que nous entretenons avec nos enfants sont des relations humaines, il ne peut pas y avoir d’idéal là-dedans. Ceci étant posé, je pense que les principaux obstacles qui s’opposent à l’émancipation des mères/parents, sont multiples. D’abord, le patriarcat. Il n’y a qu’à voir le dernier rapport du Haut Conseil à l’Egalité sur le sexisme en France. Beaucoup de personnes sont encore très attachées, par principe, aux stéréotypes de genre, que ce soit en direction des parents ou des enfants. Ensuite, l’isolement et enfin le travail en ce qui concerne la répartition du temps entre vie pro et vie perso. 

@Fabienne Lacoude - Doolittle

@Fabienne Lacoude

Comment faudrait-il s’y prendre pour établir une vraie égalité entre les parents ? 

Il faut continuer de travailler sur la question des congés du second parent, tout de suite après la naissance de l’enfant, mais aussi durant la petite enfance. Dans la première année du bébé, pour être un peu réaliste, il faudrait que les deux parents puissent s’en occuper à égalité, idéalement ensemble. Aujourd’hui, les pères sont pour la plupart pleins de bonne volonté, du moins c’est ce qu’ils disent, mais il y a encore trop d’écart. Il faut creuser pour comprendre où il y a des résistances. Par exemple, on sait que la répartition des tâches ménagères commence à paraître déséquilibrée pour les femmes quand elles en font 70%. En dessous, elles ont l’impression que c’est bien réparti dans leur famille. Dès que les hommes en font un peu, on a l’impression que c’est super. C’est de la glorification. Nous ne sommes pas réalistes car nous avons une idée de l’égalité qui dépasse l’égalité réelle. Et les pères ne le sont pas non plus sur leur implication réelle puisque la société les félicite dès qu’ils font le moindre truc, du coup ça ne les pousse pas à s’investir réellement. Je veux bien qu’on les gratifie mais qu’on gratifie les mères aussi ! 

Quelles seraient les premières étapes pour favoriser la sororité ?

Il faudrait avoir des espaces pour nous rencontrer, pour parler de nos maternités en non mixité et sans jugement. En Australie, on le voit dans la série The Letdown, des réseaux de femmes du même quartier qui accouchent à peu près au même moment, sont constitués dès la grossesse et se poursuivent en post-partum, pour créer un lien privilégié et s’entraider. En France, nous devons apprendre à recréer du collectif dans nos parentalités, sous différentes formes, y compris institutionnelles : structures de soutien, modes de garde, réseaux de quartier…

Avec votre newsletter, vous récoltez beaucoup de témoignages, est-ce que la parole des mères s’est libérée ?

Oui ! On peut dire qu’il y a un fort mouvement de libération de la parole et de l’écoute, sur la maternité depuis quelques années. Ma fille est née en 2016, beaucoup de choses ont changé depuis, notamment la prise en charge du post-partum. Mais, c’est comme le mouvement Metoo, il ne suffit pas de dire et d’entendre, il faut aussi que ça change. C’est là qu’il reste du travail. Concernant le tabou du regret par exemple, et la possibilité d’en parler, nous sommes sur la bonne voie. Mais, attention, c’est comme pour le féminisme, le discours peut se diluer et à perdre en radicalité. Il faut rester radical car il reste plein de domaines à conquérir. 

Par Julie Falcoz