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Célia <i>Sauvage</i> a décodé 102 films de <i>Disney-Pixar</i> - Doolittle
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Célia Sauvage a décodé 102 films de Disney-Pixar

Si comme nous, vous avez pleuré la mort de Mufasa, ou subi, vingt ans plus tard, la folie « Libérée, délivrée« , l’ouvrage de Célia Sauvage devrait vous intéresser. Dans son essai « Décoder Disney-Pixar : désenchanter et réenchanter l’imaginaire« , la docteure en études cinématographiques et audiovisuelles analyse les succès de la franchise sous un regard nouveau : représentations de genre, handicap, racisme, soft-masculinity… Saviez-vous que la couleur violette des « méchants » est un code queer ? Décodage.

Célia <i>Sauvage</i> a décodé 102 films de <i>Disney-Pixar</i> - Doolittle

Pourquoi avez-vous choisi ce thème de recherche et de quelle façon avez-vous travaillé ? 

Contrairement à beaucoup d’enfants, j’avais peu d’attache avec les Disney-Pixar. C’est par hasard, durant le confinement de 2020 et avec l’arrivée de la plateforme Disney+, que j’ai commencé à revoir les films. J’ai rapidement trouvé un intérêt à décrypter ce cinéma et sa politique d’images. J’ai visionné 102 films au total, produits par les studios Disney, Pixar mais aussi par DisneyToon, responsable des suites généralement sorties directement en VHS ou DVD. J’ai aussi passé beaucoup d’heures à investir la sphère des fans pour décortiquer leurs discours, et à chercher la réception presse autour des films pour voir quelles grilles de lecture leur étaient appliquées lors de leur sortie. Par exemple, j’ai été étonnée de découvrir que la dénonciation de la dimension raciste des représentations Disney n’a émergé dans les analyses universitaires qu’à partir des années 1990, en reconsidérant des films comme Le Livre de la jungle.

Vous racontez que chez vous, les Pixar étaient synonymes de compromis lors des sorties au ciné en famille. Quel est le secret de ces films pour réunir toutes les générations ?

Leur succès repose d’abord sur un contenu prétendument consensuel, non polémique car innocent et bon enfant. Pas de sexe, pas de violence, pas de traumatisme en sortant de la salle de cinéma. Ce qui est évidemment faux car toute représentation, même pour un jeune public, n’est pas politiquement neutre. Les studios Disney-Pixar ont réussi à faire croire que leurs films sont une promesse de divertissement non politisé qui peut plaire autant à votre oncle problématique, à votre grand-mère déconnectée des mouvements sociaux contemporains et à votre nièce jeune militante nouvelle génération. Les films promettent également un monde de magie, de rêve et d’aventures, loin des soucis quotidiens, du monde gris et déprimant. Vous allez vous évader et non vous triturer l’esprit à cause de considérations socio-politiques.

Vous analysez les représentations de la parentalité, de l’hétéronormativité, des standards de beauté, du handicap, de l’identité queer… Selon vous, quel est l’intérêt de « désenchanter » l’imaginaire de ces films ?

On ne peut pas échapper totalement au cinéma Disney-Pixar, surtout quand on est parent. Il faut donc apprendre à vivre avec, en sachant comment et pourquoi les regarder : valoriser des films avec des modèles d’identification plus variés, avec des personnages codés handicapés, des personnages non blancs, des familles qui sortent des normes attendues. Même une œuvre problématique a un intérêt pédagogique. On peut regarder La Belle et la Bête pour réfléchir aux relations toxiques et à la violence conjugale ou pour pointer les modèles romantiques qu’on ne recommande pas à nos enfants. L’ouvrage a pour but d’offrir les outils nécessaires pour regarder ces films – accompagner le jeune public, mais aussi, en tant qu’adulte, accepter de revisiter ses souvenirs de jeunesse sans nostalgie douteuse. Accepter plus largement de politiser ces représentations pour ne pas assimiler l’idéologie sans esprit critique. Décoder ce cinéma est aussi un jeu amusant, pas nécessairement une entreprise pénible. J’ai pris beaucoup de plaisir à repérer tous les stéréotypes récurrents, par exemple avec les méchants queer (pas tout à fait hétéros) comme le Capitaine Crochet, Ursula ou Yzma, mais aussi les personnages codés avec un handicap comme Nemo ou Dory, ou encore les animaux racisés comme dans Le Livre de la jungle ou Le Roi lion.

Vous vous attachez également à « réenchanter » cet imaginaire, pourquoi ?

Tout n’est pas à jeter dans le cinéma Disney-Pixar. En apprenant à décoder des films sous différents angles, on apprend à résister face aux images. Par exemple, oui, il est regrettable que la petite sirène soit une femme privée de parole : pas besoin de parler pour séduire, une belle fille muette suffit, et ça, c’est sexiste. Mais d’un autre point de vue, c’est aussi très résistant de décoder Ariel comme une princesse handicapée (muette) et d’interpréter la réaction du prince Eric qui, finalement, se plaint de ne pas pouvoir dialoguer avec elle. Donc, dans un sens, le film montre aussi l’importance de la voix des femmes. Dans La Reine des neiges, qu’Elsa soit codée lesbienne puisque célibataire et non intéressée par les hommes, est clairement frustrant et n’assume pas franchement la dimension LGBT+ du personnage. En revanche, son histoire est aussi celle d’une femme à qui on demande de mieux contrôler ses pouvoirs, voire qu’on prive de ceux-ci sous prétexte qu’elle n’en fait pas bon usage. Dans cette perspective s’ouvre un autre récit : celui d’une princesse handicapée, qui subit les pressions validistes (« apprends à gérer tes compétences ou isole-toi loin de la société »).

Finalement, est-ce que Disney est une entreprise en phase avec son temps et qui évolue avec les mentalités ?

On peut avoir l’impression d’une recette immuable sans grande évolution depuis le premier film, Blanche-Neige et les sept nains, sorti en 1937. Des princesses comme Raiponce ou Elsa ont encore les mêmes physiques minces et blonds que celles des années 1950 comme Cendrillon ou Aurore. Il s’agit toujours de contes de fée, de romances idylliques hétéronormées, même si, en fait, Elsa reste étrangement célibataire et conseille à sa sœur de se méfier de l’amour au premier regard. C’est autour des années 1990 que les studios Disney ont compris l’intérêt de faire évoluer les représentations avec des personnages non blancs humains (et non animaux) comme dans AladdinPocahontas ou Mulan. La tendance perdure aujourd’hui avec des personnages asiatiques ou asio-descendants dans Raya et le dernier dragon ou Elémentaire et latinos comme dans Encanto, même s’il faut souligner l’absence d’héroïne noire depuis Tiana de La Princesse et la grenouille. Les studios peinent également à intégrer des personnages LGBT+ ou explicitement handicapés. Et on peut regretter que dans le sillon du mouvement MeToo, les films ne dénoncent pas les violences sexuelles et conjugales présentes dans les productions anciennes, comme les baisers non consentis. Certes, aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux, le public peut plus facilement forcer les productions à s’adapter. Il est dans l’intérêt de Disney de le satisfaire pour assurer de bonnes recettes. Mais les studios sont aussi soumis à des pressions de la part de financeurs très conservateurs : donc okay pour des personnages non hétéros mais impossible encore de leur offrir de véritables romances ou même de verbaliser leur orientation sexuelle. Pour contenter tout le monde, tout doit rester crypté à qui sait le décoder.

A quel point les Disney-Pixar ont-ils façonné les enfants d’hier, devenus adultes aujourd’hui ?

Les représentations du cinéma Disney-Pixar se perpétuent dans les teen movies puis dans les films pour adultes. Personne n’échappe à ces modèles d’identification dans le cinéma grand public. Disney-Pixar réussit le tour de force d’être les premiers à rendre désirables ces récits à un très jeune public qui ne s’en débarrasse jamais totalement : on revisite difficilement ce qui nous a fait rêver enfant, comme s’il s’agissait de nier une partie de soi, de tuer l’enfant qui reste en nous. L’adoration de Disney-Pixar est encore très forte chez beaucoup d’adultes car ce sont les derniers vestiges d’un temps innocent, idéalisé.

Ce sont des films qui se transmettent de génération en génération. Est-ce que les enfants en ont une lecture différente de celle de leurs parents ?

Les adolescents et les jeunes adultes ont aujourd’hui un point de vue différent de leurs parents, dont ils se sont émancipés. Ce sont les générations du militantisme 2.0, de MeToo, de Black Lives Matter… donc prêtes à déconstruire joyeusement ce qui était jusqu’alors sacré et intouchable. Mais je pense que les enfants sont encore trop jeunes pour être totalement émancipés de l’influence parentale. En revanche, plus les parents les habitueront à voir des représentations variées et leur apprendront à questionner les images, plus ils participeront à créer de futures générations critiques. La balle est encore dans le camp des parents.

Décoder Disney-Pixar : désenchanter et réenchanter l’imaginaire, Célia Sauvage, éditions Daronnes.

Par Amélia Dollah