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Au secours, j’ai peur des <i>clowns</i> ! - Doolittle
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Au secours, j’ai peur des clowns !

Ils sont censés amuser petits et grands. Pourtant, dans la vraie vie, les clowns sont loin de faire l’unanimité. Pire, pour une partie de la population, ils sont générateurs d’angoisse, voire de phobie. À tel point que le phénomène porte un nom : la coulrophobie. En cause, leur sourire figé par un maquillage impressionnant, leur voix nasillarde, leurs tenues inquiétantes et un humour pas toujours à propos. Témoignages de personnes concernées.

Théo, 23 ans, journaliste

« J’ai mis très longtemps à savoir d’où venait cette peur des clowns, que je ressens depuis que je suis tout petit. Ce n’est qu’il y a deux ans que j’ai compris. Lors d’un trajet en avion, j’ai regardé Dumbo, le film de Disney, parce que c’est très court, ce qui correspondait bien avec la durée du vol. Et c’est là que j’ai réalisé que ma phobie des clowns venait de ce film, que j’avais vu à de multiples reprises lorsque j’étais enfant. À la fin du film, dans son cirque, Dumbo est martyrisé par des clowns ; des petits clowns hyper méchants, qui se grimpent dessus comme des insectes, maquillent ce pauvre Dumbo, et le forcent à sauter d’un tremplin très haut, contre son gré. Ils l’attendent en bas, avec des flammes et un trampoline beaucoup trop petit pour un éléphant. C’est très cruel. Lorsque j’avais huit ans, j’avais été invité à un anniversaire au McDonald’s. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’enfance, mais celui-ci est très vif. Mon père m’avait laissé dans ce restaurant avec mes petits camarades, et la présence de ce comédien déguisé en Ronald McDonald m’angoissait terriblement. J’ai attendu mon père toute la soirée, collé à la vitrine du McDo, terriblement angoissé. Ronald McDonald traînait parmi la vingtaine d’enfants, faisait des blagues… Mais pour moi, il rôdait tel un prédateur. Heureusement, il a fini par comprendre, probablement à cause de mon air effrayé, qu’il fallait me laisser tranquille. Aujourd’hui encore, si je croise un clown, je ne suis pas rassuré. Ce qui me fait peur, c’est le côté ‘type qui sourit tout le temps’. Personne ne sourit tout le temps, cela cache quelque chose. Parce qu’en fait, c’est son maquillage qui sourit, pas lui. Et le fait qu’il soit maquillé indique que cela peut être n’importe qui. On ne sait pas qui c’est, mais on nous oblige à l’aimer sous prétexte que les clowns seraient tous gentils. Là encore, c’est très angoissant. Je n’ai pas vu la première version de Ça, mais j’ai vu le remake sorti en 2017. Justement parce que je savais que pour une fois, un film d’horreur pouvait me faire frissonner, alors que c’est un genre qui d’ordinaire ne m’attire pas. Bon, le film est vraiment nul, mais c’est vrai que le clown est effrayant. À l’âge de 12 ans, ma grand-mère m’a emmené au cirque. Pendant tout le spectacle, j’ai redouté l’arrivée des clowns. J’étais paniqué. Je m’imaginais qu’ils allaient monter dans les gradins, solliciter des enfants pour faire des blagues… J’avais peur qu’ils viennent me chercher. Mais en fait, non. Ils sont restés sur la piste pour faire leurs blagues nulles. »

Eric, 24 ans, boulanger

« À l’âge de 6 ans, j’ai contracté une leucémie, ce qui m’a valu d’être hospitalisé de longs mois, à l’hôpital Trousseau, à Paris. C’était une période très dure, surtout pour mes parents, car moi, je ne comprenais pas tout, même si je me sentais fatigué à cause de la chimiothérapie. Je redoutais particulièrement le mercredi, car c’était une journée durant laquelle tout le monde dans l’hôpital faisait comme si tout allait bien. C’était toujours le même rituel : réveillé avec un petit déjeuner dégoûtant, puis la matinée devant des programmes pas du tout destinés à des enfants, qui sont supposés être à l’école ou en train de s’amuser dehors, comme le Téléshopping. Et ensuite, l’arrivée du clown dans ma chambre. « Une visite », comme disait l’infirmière. Donc il y avait ce type qui, dans mon esprit d’enfant, était vraiment habillé comme un clochard, qui se tenait au bout de mon lit, faisant de son mieux pour me faire sourire. C’était grossier, laborieux… Je le revois, en train de faire le tour des chambres, avec ses fleurs en plastique pourries qui envoient de l’eau, sa perruque, ses blagues pas drôles. Toi, t’es là, affaibli par la maladie, et t’as ce bonhomme en face de toi, qui finalement te fait pitié alors que cela devrait être l’inverse. J’avais 6 ans, et ses blagues étaient déjà désuètes pour moi. Par rapport à tous les dessins animés que je m’envoyais, il était incroyablement ringard. Parce qu’en plus, j’étais fan de Batman, et pour moi, le clown, c’était le Joker, le terrible ennemi de Batman. Dans le dessin animé, l’histoire du Joker, c’est qu’il se maquille pour redonner le sourire à sa femme malade. Donc cela part d’une bonne intention, comme pour les clowns d’hôpitaux, sauf que finalement, il veut juste faire exploser la ville. Depuis, les clowns ne me rappellent que des mauvais souvenirs. Je leur en veux, parce qu’il y a des moyens plus simples, plus naturels pour faire rire un enfant. Tu n’as pas besoin d’une tenue, d’une voix et d’un maquillage ridicules. Ce n’est pas rendre service aux enfants, qui ne sont pas des idiots. J’aurais largement préféré la présence d’un type normal, qui m’aurait expliqué les choses en comprenant mon imaginaire d’enfant. Là, j’avais l’impression d’être face à quelqu’un de mal dans sa peau. Je pensais même qu’il me voulait du mal. Aujourd’hui, la violence que je ressentais envers les clowns s’est transformée en peur. Peut-être parce qu’à l’époque, je n’avais pas les moyens physiques de me défendre, ou de lui demander de partir. »

Alice, 38 ans, comédienne clown

« Ce qui fait peur aux enfants chez les clowns, c’est que ce sont des personnages qui ont des codes enfantins, et en même temps, un maquillage très exagéré qui leur donne un air très figé. Cela crée une forme de dissonance. L’enfant perd ses repères, il ne sait plus trop à qui, ou à quoi, il a affaire. Le clown n’est pas vraiment un humain. C’est une sorte de créature qui fait rire, mais avec des blagues parfois un peu moqueuses, voire dures. Un jeune enfant peut ne pas comprendre s’il s’agit de quelqu’un de gentil ou pas, c’est perturbant. Lorsque j’exerce, il m’arrive régulièrement d’entendre des enfants me dire : “Non, fais pas le clown ! Ça me fait peur !” Et c’est aussi le cas avec beaucoup d’adultes. Ce qui m’a donné envie d’être clown, c’est que c’était une option dans l’école de théâtre dans laquelle j’étudiais. Beaucoup d’élèves avaient peur de cette spécialité, parce qu’elle demande de faire sortir des émotions tout en faisant rire le public, ce qui est très difficile. Mais les profs disaient que j’étais faite pour cela. Être clown, c’est mélanger la peur, l’excitation, l’adrénaline et la rigolade. »

  • Article initialement paru dans <i>Doolittle</i> n°5 « Frissons garantis »
  • Illustration clown par Ava Vermynck, 8 ans
Par Mathias Edwards