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A la rencontre de Chris Haughton, l’auteur-illustrateur de Un peu perdu
Depuis une dizaine d’années, les livres jeunesse de Chris Haughton se vendent comme des petits pains. Son premier album, Un peu perdu, en est l’exemple parfait : traduit dans plus de 30 langues et vendu à plus de 900 000 exemplaires dans le monde. Établi à Londres, l’auteur-illustrateur irlandais revient sur la naissance d’une collection qui a su séduire petits et grands.
Comment devient-on auteur-illustrateur jeunesse à succès ?
Étant illustrateur – pendant de longues années, j’ai travaillé pour la presse, l’édition et aussi la publicité – ça faisait un moment que l’envie de publier un livre pour enfants me trottait dans la tête. Mais je restais bloqué sur le sujet, je n’arrêtais pas de me dire : “Qu’est-ce que je pourrais bien raconter ?”. D’autant que l’écriture et moi, non pas que ça fait deux, mais presque… J’ai donc décidé de raconter une histoire seulement grâce aux images. Ce n’est pas un hasard si mes albums sont remplis d’onomatopées. Dans Un peu perdu, ça dit juste « Oh, oh » puis, « boing, boing, boing »… Parlant la même langue que les enfants à qui je m’adresse, mon manque de vocabulaire s’est révélé être un atout ! (rires) Et pour la traduction, c’était tout bénéf’.
Tu as d’ailleurs été traduit en coréen avant d’être publié en anglais…
Oui, c’est assez cocasse. N’arrivant pas à trouver l’idée pour le premier livre, il me fallait une deadline. C’est là qu’un collègue me dit : “Pourquoi tu ne réserves pas un billet pour aller à la Foire du livre de Séoul ? Comme ça, tu seras obligé d’arriver là-bas avec une histoire !”. C’était brillant. La semaine précédant mon départ, j’ai commencé à dessiner une histoire d’oiseaux. Bon, on n’était loin de la petite chouette que vous connaissez. Ça ressemblait plus à des poulets à ce stade… Une fois là-bas, c’était hallucinant. Il y avait environ un millier d’éditeurs venus du monde entier. Histoire d’être stratégique, j’ai uniquement pris les cartes des éditeurs qui me plaisaient et qui pouvaient potentiellement être intéressés. Au total, j’ai dû en contacter une trentaine. Les Coréens ont été les premiers à répondre, ils ont été immédiatement séduits et m’ont dit : “Ça vous dit de venir en Corée pour terminer votre livre ?”. Pas besoin de me le dire deux fois. J’y suis resté 5 mois et j’ai terminé Un peu perdu à mon retour. Enfin, 엄마를 잠깐 잃어버렸어요 (titre en coréen). La version anglaise n’est arrivée que deux ans plus tard. Je me souviens d’un Noël où je suis rentré en Irlande et je leur ai présenté mon premier livre. Mais vu que c’était écrit en coréen, aucun ne voulait me croire ! (rires)
En France, Oh non George ! est un véritable best-seller. Il paraît que tu t’es inspiré de ton éditeur David Lloyd qui était clown…
Après le premier album, j’ai changé de maison d’édition et mon nouvel éditeur – David Lloyd – chez Walker Books avait en effet été clown. Un homme incroyable, à la retraite maintenant, il doit avoir pas loin de 80 ans. Mais avant l’édition, il a passé 12 ans de sa vie dans une roulotte, à sillonner les routes pour faire rires les enfants. C’est un sacré personnage, un genre de hippie, complètement chauve, avec des boucles d’oreille et les dents défoncées… Un génie. On était accompagné de Deirdre McDermott, ma directrice artistique. Tous les trois, on s’amusait comme des fous. Mais grâce à David, j’ai compris l’importance de l’interprétation. À chaque fois que j’arrivais avec l’esquisse d’un nouveau livre, direct il se mettait à le lire à voix haute, comme si c’était un scénario. Il en faisait du théâtre, rendait mon texte drôle – même si parfois ça ne l’était pas. Moi qui voyais mes livres comme des petits films muets, voir David les interpréter, leur donner vie, ça m’a ouvert les yeux. Je ne pourrais jamais le remercier assez, ça a été une chance inouïe de travailler avec lui. Faut tout de même rappeler qu’il a collaboré avec Michael Rosen. Un de mes auteurs préférés, le père de La chasse à l’ours. C’est une star au Royaume-Uni, juste après Sir David Attenborough. (rires) C’est dire…
Au-delà de son apparence, George a aussi eu beaucoup de succès auprès des enseignants pour sa fin ouverte. Ce qui est assez rare dans les livres pour enfants…
C’est vrai. Pourtant, tous les livres de ma collection ont une fin ouverte. Pour George, je ne me voyais pas terminer l’histoire en mode, “il est sage maintenant, il ne fait plus de bêtises”. Ce n’est pas le vrai George et surtout, ça ne me paraissait pas très réaliste. Et puis, une fin ouverte entraîne des questions et des conversations. On me pose souvent la question de la morale, faut-il ou non préserver cette “tradition”. Mais qui suis-je pour dire à un enfant ce qu’il doit ou ne doit pas faire ? Je suis loin d’être un saint. Au fond, qui est à 100% légitime pour dire à quelqu’un ce qu’il ou elle doit faire ? Selon moi, il est plus intéressant de poser une question, dans le sens où nous y apporterons tous des réponses différentes. Tout dépend de la façon dont on s’identifie à cette question. Je préfère inciter l’enfant à se poser des questions, que donner une morale.
Au-delà des fins, tes livres attirent l’œil grâce à leurs couleurs vives. C’est un point important ?
Très. On le sait, les couleurs jouent un rôle fondamental dans le développement de l’enfant. Ils sont généralement très attirés par les couleurs vives comme le rouge, le jaune, le vert… Ça les stimule. En tant qu’illustrateur, ça t’offre un infini de possibilités, tu peux utiliser toutes les couleurs possibles même si elles ne renvoient pas à la réalité. Si ça a l’allure d’un ours, l’enfant lira un ours, quelle que soit sa couleur. L’idée que l’on puisse dessiner toute ce que l’on veut dans n’importe quelle couleur a été très libératrice pour moi. Par exemple, dans Et si ?, la jungle est toute rouge et non verte. Ça n’a aucune importance, ça donne une atmosphère inhabituelle, presque onirique. En partant de ce principe, je choisis les couleurs qui, selon moi, vont servir à l’histoire, vont lui donner plus d’impact. J’avoue qu’aujourd’hui, quand je vois l’ensemble de ma collection, je suis content. On dirait une belle palette de peintre !
Comment tu perçois la littérature jeunesse aujourd’hui ?
Par rapport à mon époque, il y a une nette amélioration. Déjà, il y a beaucoup plus de propositions. Et la qualité, elle aussi, est bien meilleure. Je ne suis pas hyper fan des livres en anglais, que je trouve très commerciaux. Par contre, je suis absolument fan de l’édition jeunesse française. Il y a de nombreux talents, on est sur une littérature plus philosophique et artistique. En tout cas, à chaque fois que je me retrouve chez un libraire français, je suis méga inspiré.
On note aussi de plus en plus de livres pour enfants parlant de sujets importants comme l’égalité des sexes, le racisme ou la question du genre…
Très clairement ! Et heureusement. Mais je pense qu’on peut encore s’améliorer. Au Royaume-Uni, ne serait-ce qu’à une cérémonie de remise de prix littéraires, vous pourrez constater que les gens sont encore majoritairement blancs. Ce qui n’est en aucun cas le reflet de la vie londonienne… Selon moi, la route est encore longue.
Tu te souviens de ton livre préféré étant gamin ?
Hm… Figurez-vous que c’était le Livre Guinness des records… (rires) Alors que c’était un ramassis de textes, avec des histoires complètement stupides, du genre : “la personne qui a mangé le plus de cornichons”. Ça n’avait aucun sens ! Mais j’adorais ce bouquin. Je me souviens aussi d’un The Muppet Show Annual, tiré de la série TV. Mes parents me le lisaient avant de dormir. Et comme chaque enfant, je voulais qu’ils le lisent encore, et encore, et encore…
Dans le clip “Message From Antarctica”, tu sensibilises au réchauffement climatique qui impacte certains des animaux que tu illustres – comme les manchots. Selon toi, les êtres humains comprennent mieux les choses qu’ils peuvent visualiser ?
C’est certain ! Je pense que c’est l’un des problèmes majeurs du réchauffement de la planète et de la crise climatique. C’est inimaginable. L’homme a évolué de sorte à être dans l’action lorsqu’il se retrouve face à un danger immédiat et concret. Mais s’il s’agit d’une menace informe et invisible, il n’y a plus personne. C’est vraiment problématique. Si je peux aider en essayant de représenter cette crise visuellement, afin que les gens la comprennent mieux, je dois le faire. Par rapport à l’époque où j’ai grandi, la situation est catastrophique : depuis les années 70, 69% de la vie sauvage a disparu. Il ne reste 30% de ce qui existait dans les années 70 ! Les générations futures vont littéralement nous dire : “Mais qu’est-ce que vous avez foutu ?!”.
Ça t’arrive de penser : “Ça se trouve, un jour, mes personnages n’existeront plus” ?
Ce serait tragique… Je ne veux même pas y penser.
- Toute la collection des albums de l’auteur est éditée chez Thierry Magnier