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Rencontre avec <i>Samuel Clot</i> : d’étudiant en médecine à <i>père au foyer</i> - Doolittle
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Rencontre avec Samuel Clot : d’étudiant en médecine à père au foyer

À l’occasion de la sortie de son livre “Père au foyer”, l’influenceur nous raconte son quotidien de papa, nous parle d’éducation bienveillante et réagit aux récentes annonces d’Emmanuel Macron.

Comment on passe des bancs de l’université à père de foyer ?  

Quand je suis arrivé en 3e année de médecine, ma femme et moi avons décidé d’avoir un bébé. Rétrospectivement, je réalise que c’était un signe révélant que je ne me plaisais pas dans mes études, car les deux étaient incompatibles. Arrêter ses études, pourquoi pas. Mais s’arrêter pour faire quoi ? Au bout de six mois, il fallait qu’on trouve une solution de garde. C’est là que j’ai réalisé que l’arrêt de mes études pouvait nous simplifier la vie : je resterais à la maison avec Gaspard (son fils, ndlr) et deviendrais père au foyer. Bon, ça m’a pris un peu de temps pour que je me décide vraiment à quitter ‘médecine’. C’était un choix important, quand même. 

Tu avais donc 21 ans à l’époque. Quelle a été la réaction de ton entourage ? 

Mes parents ont été finalement plus inquiets que j’arrête ‘médecine’ ! (rires) Sûrement parce que c’était la promesse d’une sécurité de l’emploi, d’un emploi assez prestigieux… Mais devenir père au foyer ne les a aucunement déranger, ils savaient que c’était quelque chose qui me plaisait, que c’était important pour moi de m’occuper de mon fils, d’être avec lui au maximum. Après, il faut savoir que Léa (sa femme, ndlr) et moi, on est un couple un peu particulier : on s’est rencontré à 15 ans, on ne s’est jamais quitté depuis. À 18 ans, on était indépendant, on vivait ensemble grâce au travail de Léa (influenceuse, ndlr). On s’est marié à 20 ans. Bref, on était déjà un peu des ovnis. (rires) 

C’est quoi la routine d’un père au foyer ? 

Aujourd’hui, mon fils est à l’école donc la routine est un peu différente. Mais durant les trois premières années où j’ai été 100% avec lui, c’était : on se levait – sachant qu’on pratiquait le cododo – Léa partait au travail relativement tôt, on allait généralement faire une promenade le matin, ayant besoin de s’aérer un peu. Ensuite, on tentait une petite sieste, même si Gaspard et les siestes, c’est très vite devenu compliqué. Au repas, on pratiquait la DME (la diversification menée par l’enfant, ndlr) : c’est le fait de proposer des aliments à l’état solide, cuits, plus faciles à manger. Puis, si Gaspard me le permettait, il y avait une sieste l’après-midi, me donnant l’opportunité de faire un peu de linge, du rangement. Une fois reposé, on bougeait beaucoup : dans des parcs animaliers, dans des musées, etc. J’ai également fait une formation Montessori, il avait donc une pièce – on appelle ça une “ambiance Montessori” – avec des plateaux d’activités, une table à disposition. Et vers 18h-18h30, Léa rentrait du travail, on se retrouvait tous les trois, on dînait avant de lancer la routine du soir. 

Finalement, être parent, c’est bien un job à temps plein… 

Je confirme ! Ça demande beaucoup d’énergie. Mais c’est aussi énormément de plaisir. Parce que c’était un choix de vie, et non une contrainte, ni un choix par défaut. Je le vivais avec plaisir. Même si – j’en parle dans le livre – au bout de trois ans, le désir s’est senti que je fasse autre chose de mes journées. Trois ans passés 100% avec son enfant, c’est super mais ça coupe aussi de choses plus personnelles, comme des passions. Ça empêche aussi d’imaginer, de développer d’autres projets. La rentrée à l’école a été chouette pour ça. 

“Aujourd’hui, on a encore trop la vision du parent sculpteur qui, le jour de la naissance, reçoit un bloc d’argile pour ensuite en faire un peu ce qu’il veut.”

Accompagner son enfant lors des premières années de sa vie est vraiment bénéfique ? 

C’est vraiment un privilège. C’est même un luxe de pouvoir faire ça. Aujourd’hui, la société est faite d’une façon où prendre soin de son enfant, c’est devenu secondaire. Malheureusement. Attention, je ne pointe pas du doigt les parents qui aimeraient toujours passer plus de temps avec leurs enfants. Le fait est que les congés parentaux ne sont vraiment pas dingues, les rémunérations de ces congés ne sont pas suffisantes. En entreprise, la place du statut de parent pour les employés est ridiculement inexistante. Dans notre pays, rien n’est mis en place pour que les parents tissent un lien fort et solide avec leurs enfants. Que ce soit dans le monde du travail ou dans la vision de l’éducation en général. Or selon moi, cette présence permet énormément de choses, tant pour le parent que pour l’enfant. En ce qui me concerne, j’ai une relation avec mon fils qui est incroyable. On est un peu comme deux frères. Je suis jeune, proche de lui, je n’ai pas de posture autoritaire. Je ne suis pas du tout dans un truc condescendant et de domination. Et surtout, lui est libre dans ses apprentissages ! 

Tout cela fait partie de la “parentalité positive” dont tu es le grand défenseur…

C’est le terme qu’on utilise, oui. Mais ça devrait juste s’appeler la “parentalité”. (rires) Je me bats contre cette parentalité “traditionnelle” que je qualifie de violente. Je ne dis pas qu’elle est maltraitante, mais selon moi, l y a une vraie violence à ce que la société ne fasse pas suffisamment pour que le parent ait une réelle place. Il y a une vraie violence pour l’enfant dans la façon dont on s’adresse à lui, dans la façon dont on le considère dans la société. Il y a une vraie violence pour tout le personnel éducatif. Finalement, la parentalité “positive”, c’est dire : est-ce qu’on ne peut pas essayer de considérer l’enfant comme un être à part entière, égal à nous-même ? La parentalité positive, c’est accepter que l’on a la responsabilité de lui procurer sécurité, alimentation et amour, mais aussi la responsabilité de le laisser grandir comme bon lui semble. Aujourd’hui, on a encore trop la vision du parent sculpteur qui, le jour de la naissance, reçoit un bloc d’argile pour ensuite en faire un peu ce qu’il veut. Sauf qu’à force de coups, de mots, d’impositions, les enfants s’éteignent.  

“Il y a une phrase qui me rend fou : c’est “j’aide ma femme”. Déjà, pour moi, ça pose problème.”

Dans ton livre, tu dénonces notamment le dad blessing… 

Si l’on reprend l’idéologie patriarcale, les femmes sont censées rester au foyer. C’est leur place naturelle. Donc le fait qu’un homme le fasse, c’est presque aller à l’encontre d’un “instinct”, c’est en tout cas perçu comme un effort. C’est souvent une réflexion qu’on entend de la part de la génération de nos parents. Ce truc d’encenser les pères, comme si le simple fait qu’ils s’occupent de leurs gosses était un exploit, me fait vraiment rire jaune. Dans les médias, sur les réseaux sociaux, ce dad blessing est très présent… Pour ma part, c’est quelque chose que j’ai toujours évité de faire. Par exemple, il y a une phrase qui me rend fou : c’est “j’aide ma femme”. Déjà, pour moi, ça pose problème. Non, tu n’aides pas ta femme, on ne vous demande pas d’aider votre femme, on vous demande de faire votre part. 

Comment tu vois la place de l’homme dans la parentalité aujourd’hui ? 

Il y a des choses encourageantes, comme le fait que de plus en plus de pères s’impliquent dans la parentalité et remettent en cause le modèle patriarcal. Mais on a encore de nombreux freins sociétaux et administratifs. Lorsqu’on compare notre modèle au modèle scandinave notamment sur le congé paternité ou congé parental, on est complètement à la ramasse. On a 30 ans de retard ! Et ce n’est pas notre président qui va faire avancer quoique ce soit…

“Si on ne met pas plus d’énergie dans l’éducation, peu importe si les enfants connaissent la Marseillaise par cœur.”

À ce propos, qu’as-tu retenu de la conférence de presse d’Emmanuel Macron ? 

Notre président a utilisé un terme flagrant de son ignorance sur l’éducation. Il devrait avoir en tête que le premier “réarmement” à mener, c’est un “réarmement” intellectuel sur ce qu’est l’éducation. L’éducation, c’est avant tout du lien émotionnel et de l’amour. On peut apprendre la Marseillaise pendant deux heures tous les matins, mais si on ne donne pas aux enseignants des classes de moins de 30 élèves, si on n’arrête pas de penser qu’un enfant va gentiment s’asseoir sur une chaise pour apprendre de 9h à 18h, si on n’avance pas sur la rémunération des professeurs et du personnel, si on n’ouvre pas des places en crèche pour éviter que des enfants se retrouvent dans des endroits où les gens ne sont pas suffisamment formés… bref, si on ne met pas plus d’énergie dans l’éducation, peu importe si les enfants connaissent la Marseillaise par cœur, ils ne seront toujours pas épanouis, ni heureux.  

L’ignorance du gouvernement en serait donc la cause… 

Non, pour moi, c’est davantage une volonté politique. Les enfants ne votent pas et ne rapportent rien à court terme à l’État. Il n’y a donc aucune raison que l’on s’intéresse à eux. Comme c’est le cas aussi des personnes âgées en EHPAD, des immigrés sans papiers… Ce qui me dérange, c’est que s’ils avaient un minimum d’intelligence sur le long terme, cela demanderait à ce que l’on change notre vision de la politique. Ce qu’ils voient pour l’instant, ce sont les prochaines élections. Si on voyait à +30 ans, comme l’ont fait les Suédois dans les années 1970, on se rendrait compte qu’à +30 ans, on aurait une génération d’adultes plus épanouis, plus heureux dans leur vie de couple, plus productifs et moins violents – que ce soit sur le plan conjugal, que ce soit sur les incivilités, que ce soit sur les agressions du personnel hospitalier qui montent en flèche, que ce soit sur les actes antisémites, homophobes…etc. Or, ça leur demande de semer des graines qu’ils ne vont pas eux-mêmes récolter. Et pour nos hommes et femmes politiques actuels, c’est injouable… On est donc, pour l’instant, face à un mur.

 

  • “Père au foyer : comment la parentalité positive a changé ma vie ?” aux éditions Hachette pratique, 15 euros, est disponible ici.
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Rencontre avec <i>Samuel Clot</i> : d’étudiant en médecine à <i>père au foyer</i> - Doolittle
Par Ana Boyrie