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Peut-on se balader <i>nus</i> devant ses <i>enfants</i> ? - Doolittle
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Peut-on se balader nus devant ses enfants ?

Être nu ou ne pas être nu devant ses enfants ? Telle est la question. À la maison, certains parents y réfléchissent à deux fois avant de se balader en costume d’Adam ou d’Ève. D’autres n’ont aucune gêne à prendre leur bain accompagnés de leurs bambins. Qui a raison, qui a tort ? Pas si simple.

“Enfant, je me souviens de voir mon père à poil en sortant de la douche. Je ne sais plus vers quel âge il a commencé à enrouler une serviette autour de sa taille, en marchant-courant vers la chambre, le drap de bain tenu à une main, qui tombait souvent et lui avec un regard du genre “oups hihi”, s’interroge Marie, sourire en coin. Exposer les enfants à la nudité : un sujet que l’on pourrait facilement qualifier de terrain miné. Que ce soit du côté des professionnels de santé, du corps enseignant ou des parents, les avis divergent. On se souvient notamment de la polémique autour du livre Tous à poil ! en 2014, que Jean-François Copé avait pris pour cible. Alors président de l’UMP, l’ancien ministre avait vu dans l’ouvrage – qui présentait des corps nus dessinés allant des voisins, au policier en passant par la maîtresse d’école – un avertissement devant nous inciter à réfléchir “sur ce qui est en train de se faire dans ce pays”. Quelque peu décontenancé, l’éditeur du livre entendait seulement “dédramatiser la nudité, sujet trop souvent tabou”. En effet, si la nudité est omniprésente médiatiquement, elle reste compliquée à aborder auprès des enfants, d’autant plus au sein des familles.

Aucun souvenir avant 4 ans

Des fesses aperçues dans un coin de chambre, des seins dans le miroir de la salle de bain… Tous les enfants – ou presque – ont été un jour ou l’autre exposés au corps nu de leurs parents. Mais beaucoup se posent la question : la nudité est-elle normale entre parents et enfants ? “Si on fonctionne chronologiquement, on valorise le peau à peau, le corps nu de l’enfant sur le corps nu de la mère dans les premiers mois qui suivent la naissance, répond Jeanne Chiffoleau, psychologue spécialisée en périnatalité. L’enfant qui sort de cette enveloppe maternelle a un besoin d’être contenu, de retrouver les battements du cœur, le chaud… Le rapport au corps est du côté du lien, de la contenance, de l’enveloppe.” La psychologue estime que dans les premiers mois et les premières années, il n’est donc pas problématique pour un enfant de voir l’un de ses parents nu. Tout simplement, parce qu’il n’en aura aucun souvenir. “Jusqu’à 4-5 ans, il y a une grosse part d’amnésie infantile”, ajoute Stéphane Clerget, pédopsychiatre et auteur de L’intelligence spirituelle de votre enfant : la révéler et la développer. En revanche, passé cet âge, commence à apparaître des intérêts plus sexualisés : un intérêt sur la différence des corps entre fille et garçon, entre adultes et enfants mais surtout, “une certaine excitabilité”. “Voir le corps nu de leurs parents peut avoir sur eux un impact émotionnel important, susceptible de parasiter leur développement affectif et d’empêcher le cerveau d’être pleinement disponible pour les autres apprentissages”, justifie le pédopsychiatre. Pourquoi ? “Aux yeux d’un enfant, ses parents sont ses dieux, reprend-t-il. Pour lui, le corps du parent est ce qu’il y a de plus fascinant, de plus beau, c’est le corps d’où on sait venir, le corps qu’on aspire à avoir.”

Exhiber ou cacher, même panier 

Plus radicale, une voix s’est élevée pour défendre la nudité parentale et, même, y voir des vertus éducatives. Celle de Jess Spiring, mère de deux filles de 3 et 5 ans, et auteure d’une tribune publiée dans le Daily Mail. Cette dernière prétexte entre autres qu’exposer son enfant à des corps différents du sien peut l’aider à grandir sans développer de complexes. “C’est possible, mais l’inverse l’est également, réagit Stéphane Clerget. Si les parents pensent que leurs enfants doivent voir des corps nus différents du leur, d’accord. Mais pas ceux de la famille. Il faut intégrer l’interdit de l’inceste.” Jeanne Chiffoleau est plus nuancée, alarmant surtout sur l’accumulation des exhibitions : “Un parent qui cumule une nudité, le fait de se toucher, le fait d’exhiber des relations sexuelles ou excitantes avec le parent, avec des gestes intrusifs… Tout cela peut créer un climat incestuel et peut impacter l’enfant.” Tout est question de “dosage”, selon la psychologue. Attention à ne pas s’exhiber. Attention à ne pas non plus trop se cacher ou laisser paraître un mal-être corporel. Car si l’enfant perçoit une gêne, s’il remarque que le parent n’est pas à l’aise avec son corps, il comprend qu’il y a un enjeu. “En cela, vous créez un tabou”, estime Jeanne Chiffoleau. 

La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non se montrer dénudé devant son enfant. “Le parent doit se demander : “comment je le vis lorsque je suis nu face à lui” car c’est cela que va capter l’enfant. Il vaut mieux que l’enfant voit son parent à l’aise en sous-vêtements que mal à l’aise nu”, estime-t-elle avant de rappeler que le parent a une certaine tendance à sexualiser le corps, là où l’enfant est plutôt dans la sensorialité. Si l’enfant doit apprendre le respect de son corps, il en va de même pour le corps de l’autre et son intimité. “Cela valorise la notion du consentement”, précise Jeanne Chiffoleau. Dans l’optique d’une éducation sexuelle, ça ne peut pas faire de mal. De plus, certains parents n’ont pas forcément envie d’être vu nu, que ce soit dans la douche ou dans la chambre. L’enfant doit respecter cela. Comme le rappelle Stéphane Clerget, “sa liberté commence avec le respect de celle des autres”.

Et le naturisme dans tout ça ? 

À chaque famille, son organisation. Si certaines se vivent nues à la maison, d’autres optent pour des lieux extérieurs où la nudité est reine : les centres naturistes. Pour Stéphane Clerget, les deux doivent être dissociés. Tout d’abord, le naturisme ne peut être imposé aux jeunes enfants. Ces derniers auraient le droit de se vêtir, au minimum d’un sous-vêtement. Autre argument : l’enfant ne pratique pas le naturisme 365 jours par an. Généralement, c’est l’affaire de quelques semaines, pendant la période des vacances. Et enfin, il peut certes être exposé au corps nu de ses parents, mais parmi une masse de corps nus étrangers, ce qui serait nettement moins marquant. “Lorsque vous pratiquez le naturisme, vous êtes dans la nature. Si l’enfant n’a pas envie de voir ses parents nus, il en a a priori la possibilité, considère le pédopsychiatre. Dans un F3, c’est plus compliqué d’y échapper…”

Par Ana Boyrie