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Peut-on faire porter du noir aux jeunes enfants ?
Les marques de vêtements pour enfants, notamment pour bébés, ne proposent que rarement des habits noirs. La tendance peut-elle, et devrait-elle, s’inverser ?
“Aujourd’hui, il y a un peu de blanc, un peu de bleu, un peu de rouge… Il n’y a pas de noir.” Delphine décrit les tenues des petits qu’elle surveille dans sa crèche lilloise. Même constat de Fleur, au moment de sortir en récréation avec sa classe de GS/CP en Seine-Maritime : “Ils ne portent que des couleurs claires, pas de noir.” Pourquoi donc les parents n’ont pas ajouté de noir à la tenue de leurs enfants ? “J’achète peu de vêtements foncés, je trouve ça triste sur les enfants”, se justifie Laure, maman d’une fille de 6 ans, à Bordeaux. Ces exemples n’ont rien de surprenant : c’est une idée répandue dans la société. “Le noir renvoie à des symboles forts et connotés, notamment le deuil”, explique Aude Le Guennec, anthropologue du vêtement à la Glasgow School of Art. “On ne veut pas coller l’image de la mort sur un bébé qui représente la vie, la joie, la gaieté”, assène Olivia Rouart, responsable de la boutique Marie Puce dans le 6e arrondissement de Paris.
Conséquence : les marques de vêtements pour enfants ont écarté cette couleur de leur palette. “Dans les magasins, il n’y a pas vraiment de vêtements noirs en vente”, regrettent Nicolas et Tiphanie, deux parents qui aimeraient diversifier la penderie de leur petit Léon, âgé d’un an. Pour l’instant, le couple fan de moto et de musique n’a dégotté qu’un seul habit entièrement noir : un costume de Batman.
Mercredi Addams, l’influenceuse
Dans son livre La Couleur au cœur de la stratégie marketing*, la professeure de marketing à l’EDHEC Sabine Ruaud détaille les significations du noir dans la mode, qui se rattacherait à la mort, mais aussi à la rébellion, à la sobriété ou au luxe. C’est pourquoi les griffes Karl Lagerfeld, Sonia Rykiel, Hugo Boss ou Balenciaga accordent une place particulière au noir dans leurs collections pour enfants. “Aujourd’hui, le noir n’a pas disparu du tout”, affirme Aude Le Guennec. Dans l’idée de suivre ce courant chic, les marques tournées vers le grand public se mettent elles aussi à commercialiser des habits noirs. “Le seul moment où on travaille le noir, c’est au moment de Noël, avec quelques pièces pour filles, présente Elsa Bourdrez, responsable image et identité de la marque Okaïdi-Obaïbi. Elles ne sont jamais noires à 100% : il y a du blanc, du doré, des textures, des motifs… Le nombre de références est très limité. C’est une offre très ponctuelle, à la marge. On fait ça depuis trois ans.” Son concurrent Orchestra propose une tenue basique noire tout au long de l’année. La marque assure réaliser de bonnes ventes sur ces “essentiels” : un sweat, un T-shirt et un pantalon. “On essaie de surfer sur les tendances, recadre Alexandra Voeux, responsable style et coordinatrice des collections fille et maternité. Les séries comme Mercredi sont des sources d’inspiration pour les enfants. Et les mamans aiment bien habiller leur fille comme elles s’habillent, c’est le phénomène des mini-me.” Mais que les enfants, petites filles et petits garçons, déguisés en Batman se rassurent : on compte toujours sur eux pour nous protéger.
*Valérie Boulocher-Passet
et Sabine Ruaud, La Couleur au cœur
de la stratégie marketing,
Éditions DeBoeck supérieur, 2016