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Homophobie en milieu <i>scolaire</i> : la lettre d’une mère à <i>Pap Ndiaye</i> - Doolittle
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Homophobie en milieu scolaire : la lettre d’une mère à Pap Ndiaye

Julie est la maman d’un adolescent de 15 ans. Ce dernier a souffert d’homophobie au lycée lors de cette année scolaire. S’il a eu la chance d’être finalement accepté dans un nouvel établissement qui se veut plus respectueux, sa mère souhaite publier son histoire pour sensibiliser le public à une situation qui perdure et cause des drames chaque année. Nous publions ici la lettre qu’elle a envoyée à Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale, en préservant l’anonymat de la famille.

« LE PROBLÈME, CE N’EST PAS LE LYCÉE, C’EST VOTRE FILS »

« Madame, qu’attendez-vous de nous ? De rappeler que l’homophobie est interdite ? Mais c’est dans le règlement ! Et puis surtout, ça risque d’être contre-productif et d’aggraver la situation ».

Voilà le soutien que j’ai reçu du proviseur d’un prestigieux lycée de l’ouest parisien quand je l’ai appelé à l’aide. Mon fils subissait des insultes et moqueries homophobes dans son établissement.

Monsieur le ministre Pap Ndiaye, nous avons besoin de votre aide.

Je tiens à partager avec vous, Monsieur le ministre, la très difficile année que mon fils de 15 ans vient de passer dans son lycée. Je vous sais sincèrement concerné par les questions de harcèlement et les souffrances qu’elles entraînent. Celles subies par mon fils concernent en fait des milliers d’adolescents et illustrent parfaitement les graves manquements de l’institution chargée d’éduquer et de protéger nos enfants. Une situation à laquelle, je suis sûre, vous avez à cœur de remédier.

Voici son histoire. Notre histoire.

Nous sommes en 2023, à Paris, nous fêtons les 10 ans du mariage pour tous. Mon fils est né il y a 15 ans dans un hôpital public, il n’est jamais allé chez un pédiatre mais à la PMI de notre quartier. Puis il est allé à la crèche municipale du quartier, à l’école maternelle municipale, à l’école élémentaire municipale, au conservatoire national du quartier, et enfin au collège et lycée publics.

« Je pense que je suis gay »

Mon fils a toujours été un enfant très sensible, peu intéressé par les jeux habituels des garçons de son âge et ayant un tempérament secret, parfois solitaire. Mais cela ne l’a jamais empêché d’avoir confiance en lui, heureux dans son groupe d’amis, heureux dans sa classe. Un matin, alors que nous étions occupés à sucrer les crêpes de notre petit-déjeuner, il a déclaré le plus naturellement du monde : « Je pense que je suis bi, mais quand même plus gay ». Simple et direct. Il savait que ce n’était pas un sujet pour moi sa mère, et il n’avait aucun doute sur la bienveillance de son entourage.

Sa scolarité se déroulait bien. Mon fils était un bon élève, il était très attaché à son collège, ses profs et ses copains.

« Pédé ! », « Sale pédé ! », le début des insultes

En septembre 2022, c’est un adolescent content de rentrer en seconde, dans un lycée qu’il connaît bien puisqu’il y a effectué toutes ses années de collège. Pourtant, il n’y reconnaît plus grand monde, l’algorithme d’affectation en a écarté la plupart des visages familiers. Le proviseur aussi est nouveau. Je vais apprendre à le connaître.

Et puis tout bascule. Très rapidement, il se fait traiter de « pédé ». De « sale pédé ». On le regarde de travers, on se moque de lui, on l’évite. Le malaise envahit tout et je vois mon fils basculer dans le camp de la honte pour la première fois de sa vie. Dans la journée, il pleure. Le soir, il pleure. La nuit, il pleure. Il pleure tout le temps. Honteux, terrorisé par le regard des autres, il me supplie de ne pas en parler au lycée. Surtout, ne pas faire de vague. Ne pas se faire remarquer. Devenir invisible. Disparaître. Peut-être que ça passera. Bien sûr, ça ne passera pas et je ne respecte pas son souhait. En novembre, je prends rendez-vous avec sa professeure principale.

Mon fils n’est pas une « bonne victime »

Elle est à l’écoute et paraît pleine de sollicitude mais semble totalement désarmée. Elle me confirme avoir remarqué que mon fils n’avait pas l’air de très bien s’intégrer. Elle me demande s’il est harcelé. Les insultes ne sont pas quotidiennes, il est exclu plus que harcelé, je ne me sens pas autorisée à employer le terme. Je sens alors que mon dossier perd de sa consistance. Mon fils n’est pas insulté tous les jours, il n’est ni frappé ni cyber harcelé. Il ne rentre pas dans les cases. Ce n’est pas une bonne victime. Apparemment le fait qu’il soit rejeté, qu’il souffre et qu’il soit la proie d’idées de plus en plus sombres ne suffit pas à déclencher une réaction de l’équipe enseignante. Je suis Impuissante. Je ne sais pas quoi faire.

Vos larmes comptent, Monsieur le ministre

Les semaines suivantes, mon fils s’isole de plus en plus. Il rentre en cachette à la maison pour manger un bout de pain plutôt que d’aller à la cantine, où personne ne veut déjeuner avec lui. Il ne veut pas affronter les regards et les moqueries, cette ambiance qui le démolit. Il ne veut pas non plus que je sois au courant, il a honte et ne veut pas devenir un problème. Sa thérapeute est très inquiète. Elle me dit qu’il est « ravagé » et me demande de le surveiller, de ne pas le laisser seul. Sa vie est en danger, il pourrait se faire du mal.

En janvier 2023, vous êtes interrogé au Sénat, Monsieur le ministre, après le suicide de Lucas, un jeune garçon de 13 ans harcelé en raison de son homosexualité. « Il n’y a pas de mots pour dire l’émotion, le chagrin, la douleur », déclarez-vous en larmes à la tribune. Vous annoncez que des groupes de sensibilisation, de prévention et d’action contre l’homophobie seront déployés dans toutes les académies du pays et accompagneront les équipes éducatives. Il s’agit « d’une priorité du gouvernement que vous suivrez personnellement ».

J’appelle le proviseur à l’aide

Vous avez sonné la mobilisation générale pour secourir tous les Lucas de France. Mon fils est du nombre. Le lendemain de votre intervention, j’écris au proviseur du lycée. Je lui fais part de la dépression dans laquelle a sombré mon fils, des idées noires qui le traversent, du climat homophobe qu’il a dû affronter dans sa classe, de l’inquiétude de sa psy, de la terreur qui m’envahit. Bref, je lui déballe tout le dossier. J’ai besoin de son aide.

Je lui dis que nous avons contacté des centres LGBT qui font de la sensibilisation en milieu scolaire, je propose de les mettre en relation afin qu’ils puissent intervenir dans l’établissement et, conformément à vos vœux exprimés au Sénat avec une émotion réconfortante, sortir de cette ambiance délétère qui détruit trop d’adolescents.

Pour réponse, le proviseur m’assure prendre les choses très au sérieux. Il m’indique disposer d’infirmières et de CPE tout à fait en mesure de sensibiliser les élèves sur ces problématiques.

Mon fils doit « s’accrocher »

Deux jours plus tard, une infirmière vient chercher mon fils en plein cours. Pas très discret, tous les regards sont braqués sur lui. Au téléphone, elle m’annonce ensuite l’avoir convoqué et qu’effectivement, « ce n’est pas facile pour lui mais qu’il va s’accrocher. Il y a un bien un groupe pas très sympa avec lui, nous sommes au courant, mais il va s’accrocher ».

Il doit « s’accrocher ». C’est donc lui le problème. C’est bien à lui d’apprendre à surmonter le rejet dont il est l’objet. À aucun moment il n’est envisagé d’aborder la question des comportements homophobes avec la classe et notamment « le groupe pas très sympa ». À aucun moment il n’est envisagé d’agir sur la cause de son malaise.

« On a d’autres priorités », me rétorque l’infirmière. En gros, qu’il se débrouille, le lycée n’a pas que ça à faire.

« Madame, c’est dans le règlement ! »

Je commence alors à demander à voir le proviseur. Janvier, février… silence radio. Mes mails restent sans réponse. J’ai l’impression d’en faire trop, d’être la mère insupportable avec son enfant qui va mal. Ils ne sont pas là pour ça, ils s’occupent de ceux qui vont bien. Je relance à nouveau le proviseur en mars qui accepte enfin de me recevoir… le 4 avril. C’est froidement, en retard, avec dédain et sur un ton péremptoire qu’il aborde l’entretien au cours duquel je vais entendre un discours surréaliste : « le problème ce n’est pas l’établissement, Madame. Nous avons d’autres élèves avec une autre sexualité. Le problème, c’est votre fils. C’est le cas ici, et ce sera le cas dans n’importe quel établissement. C’est d’ailleurs à lui de venir nous voir, pas à vous. Nous ne pouvons pas aider un élève qui ne s’exprime pas. Madame, qu’attendez-vous de nous ? De rappeler que l’homophobie est interdite ? Mais c’est dans le règlement ! Et puis surtout, ça risque d’être contre-productif et d’aggraver la situation ».

En larmes, je quitte cet endroit et je comprends ce que mon fils endure. L’enfer.

Une écoute enfin bienveillante

La fuite devient la seule issue : je pars en quête d’un établissement pour qu’il ne finisse pas l’année ici. Mes amis m’indiquent un lycée privé réputé bienveillant qui, après un entretien plutôt étrange — « C’est quel genre votre fils ? Très maniéré ? Très ostentatoire ? Ou juste un peu efféminé ? ». Surprise, je réponds qu’il est discret, s’habille tout en noir, qu’il est gracieux. « On en a aussi des comme ça », m’affirme-t-il. Il finira par refuser de le prendre sans l’avoir reçu.

De nouveaux conseils me conduisent vers un autre établissement. Le directeur nous reçoit. Il s’adresse à mon fils : « Ce que tu as vécu n’est pas normal, tu dois partir, tu bosses pour toi, pas pour eux ». Je vois mon fils qui se redresse, son œil qui brille et ses larmes se mettent à couler devant cette bienveillance inattendue, ce soutien que nous n’espérions plus. Les frais de scolarité sont élevés mais mes amis sont prêts à faire une cagnotte pour qu’il soit inscrit. L’espoir renaît.

« Tu seras bien chez nous »

Mais l’établissement est très petit et seules deux places de première sont disponibles pour 80 dossiers, les chances sont minces. L’équipe nous conseille de contacter un autre établissement privé qui propose une démarche proche de la leur. La directrice nous y reçoit. « C’est très dur ce que votre fils a vécu. Je lui libère une place », nous rassure-t-elle immédiatement. Elle se tourne vers lui : « Tu seras bien chez nous, nous avons des élèves et des professeurs de toutes croyances, de toutes sexualités et nous allons nous attacher à ce que tu aies toutes tes chances et toute ta place ». Des mots simples et réconfortants. Cette femme dynamique et motivée a saisi l’urgence : mon fils est sauvé ! Il pourra étudier sans se cacher, sans craindre les insultes. Enfin libre.

Combien de nouveaux drames se profilent ?

Au terme de ce parcours malheureusement banal, je m’interroge.

Doit-on encore rappeler, en 2023, que les insultes racistes et homophobes sont interdites dans notre loi ?

Combien d’adolescents sont-ils en train de souffrir dans l’indifférence générale ?

Combien d’établissements scolaires pratiquent ainsi la non-assistance à enfant en danger ?

Combien de nouveaux drames se profilent ?

Au-delà de l’émotion, vous avez le pouvoir, Monsieur le ministre, d’imposer véritablement des mesures de sensibilisation au sein des établissements scolaires.

Vous avez le pouvoir de ne pas laisser sévir des responsables aussi indifférents ou incompétents quand ils ont en charge l’éducation et la sécurité de nos enfants.

Vous avez le pouvoir de nous permettre de trouver des solutions au sein du service public plutôt que d’avoir à le quitter, comme j’ai dû le faire, pour trouver une solution de sauvetage de nos adolescents en danger.

Monsieur le ministre, nous comptons tous sur vous.