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Cyrus North, le <i>créateur</i> de contenus qui fait aimer la <i>philo</i> aux ados - Doolittle
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Cyrus North, le créateur de contenus qui fait aimer la philo aux ados

D’abord connu en tant que YouTubeur philo, Cyrus North est aujourd’hui un touche-à-tout qui publie des vidéos de vulgarisation ou de réflexion, et donne des coups de pouce aux jeunes dans leurs révisions. Avec son podcast Ton bac avec Cyrus North !, le créateur de contenus – en collaboration avec Annabac – assiste les lycéens à potasser la SES, la spécialité HGGSP (histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques) et bien sûr la philosophie.

Tu t’es beaucoup diversifié dans tes activités depuis tes débuts, mais on a la sensation que tu reviens à chaque fois à des contenus destinés aux jeunes, à l’apprentissage.

Des contenus académiques, oui. Parce que la question de l’apprentissage des jeunes est dans tous mes contenus. Le bac, et ce rôle académique, j’y reviens, on m’y fait revenir aussi, et j’en suis très content. On m’a appelé pour faire le podcast parce que dans l’esprit de beaucoup de gens, je suis identifié comme un mec avec qui tu révises le bac. Je trouve ça intéressant, j’apprends en le faisant. Et il y a aussi une vraie gratification personnelle à pouvoir aider plein de jeunes à mieux réussir leurs exams. Ça me touche, parce que quand j’ai commencé mes vidéos “Le Coup de Phil” qui étaient de la pure vulgarisation de philo, je n’avais pas anticipé que ça pouvait aider les jeunes pour le bac. Quand des lycéens sont venus me voir pour me dire que ça les avait aidés, j’ai trouvé ça trop cool. Ça m’a donné envie de faire plus. Pourquoi s’arrêter à la philo ?

Tu ne pensais pas t’adresser aux jeunes, à l’origine ?

J’ai fait ce que je voulais voir sur Internet. J’avais 23 ans, j’étais encore en école, et ça me manquait de ne plus faire de philo. Je me suis dit que j’allais redécouvrir la philo, et en faire des vidéos sur Youtube parce que ça me faisait marrer. À la limite, j’avais peur que les profs tombent dessus et que je me fasse défoncer. Et quand un jour on m’a dit “mon prof l’a montrée en cours”, je ne m’y attendais pas du tout.

Tu n’as jamais eu de problème de crédibilité dans le domaine, notamment parce que tu n’as pas de diplôme en philo ?

Non, ceux qui m’ont reproché de ne pas avoir de diplôme de philo, ce sont à la limite les haters sur Internet. Beaucoup de vulgarisateurs sur Internet n’ont pas de diplôme : Nota Bene, Nozman. Parfois, ne pas avoir de diplôme m’aide à vulgariser, parce que ça veut dire que si moi je le comprends, tout le monde le comprend. Si j’étais diplômé, avec toutes les connaissances possibles, peut-être que je n’aurais pas pu me mettre à la place de quelqu’un qui n’y comprend rien.

La philo est quand même un domaine très spécifique…

Oui, et c’est vrai que les vulgarisateurs que je connais qui font de la philo ont un diplôme. Le Précepteur  et Monsieur Phi, ils sont tous les deux profs. Il y avait aussi à une époque Dany Caligula, qui lui avait été en fac de philo et faisait des vidéos de philo pure sur Youtube. Je suis le seul, ou l’un des seuls à ma connaissance, à ne pas avoir fait d’études de philo. Même si j’en ai fait en prépa.

Tu décris ton travail comme du “braintertainment”, mélange des mots “brain” et “entertainment”. Ton inspiration principale, c’était C’est pas sorcier ?

Je kiffe C’est pas sorcier, et je me disais que c’était fou qu’il n’existe pas de C’est pas sorcier de la philo. Un gars qui fait de la philo dans quelque chose d’un peu fun, que ce soit vulgarisé. Tout ce qui était philo, ça n’était pas de la vulgarisation : Les Chemins de la philosophie sur France Culture, ou des émissions qui durent une heure et où il faut s’accrocher, la plupart des gens sont largués avec ce genre de trucs. Aux US j’avais vu des choses, comme “Philosophy Bro” par exemple, mais c’était des contenus de niche. Et ça l’est toujours d’ailleurs. C’est complexe, la philo, ce n’est pas le domaine le plus simple pour “percer”. C’est un équilibre à trouver entre quelque chose qui fait réfléchir, un truc malin qui a du sens, et du divertissement. Quand tu le trouves, c’est la satisfaction suprême.

Pour intéresser les gens à la philo, c’était une question de ton à trouver ?

Il y avait, sur Youtube, ce qu’on appelait à l’époque les podcasts. Je me disais que ce serait marrant de voir un mec faire ça sauf qu’au lieu de parler de ping-pong, il parlerait de Kant. C’était cette idée-là de base : un peu de C’est pas sorcier, et un mélange entre le podcast et la philo, deux choses qui n’ont rien à voir. Une explication sur Kant, et juste après un sketch. C’était la grammaire de Youtube de l’époque, appliquée à la philo, car c’était la chose dont j’avais envie de parler. D’ailleurs, il est possible que je refasse des Coups de phil’, car c’était il y a dix ans. Ce serait marrant de remettre au goût du jour des épisodes, forcément la forme n’aura rien à voir. Il n’y aura plus les sketchs mais peut-être des schémas et de l’animations motion à la place. Ou alors les sketchs vont se faire autrement.

Tu avais la volonté de faire changer la vision que les gens avaient de la philo ?

Ce qui était disponible, c’était soit des bouquins de philo, soit des comptes de philo, soit des gros podcasts sur Arte ou France Culture. J’avais l’impression qu’il y avait plein de gens qui étaient délaissés, on ne leur parlait pas, personne ne faisait le taf. Et je trouvais ça dommage, car la philo est quand même au coeur de ce qui se joue entre les gens, avec nous-mêmes, c’est présent partout. Tout est “philosophable”. La réforme des retraites par exemple, représente de gros enjeux au niveau philosophie. Au niveau de la solidarité, de la vision qu’on veut pour notre société… Tout ce qui se passe avec les IA, pareil. C’est quoi le travail, c’est quoi la créativité, c’est quoi notre plus-value en tant qu’humain ? Quelle est la place qu’on prend, et qu’on va laisser ? Toutes ces questions sont passionnantes, et la philo donne des outils pour que ta conversation ne parte pas de zéro. Il y a des siècles de réflexion sur plein de choses, autant partir des postulats ou des théories que ces personnes ont pu dresser. Et je galérais à trouver quelque chose de simple qui donnait ces outils. Aux États-Unis, j’étais tombé sur un bouquin, que j’ai encore dans mon studio, ça s’appelait The Philosophy Book: Big Ideas Simply Explained. Toutes les double-pages, tu avais un gros concept de philo expliqué. Je me suis dit que c’était ça qu’il fallait : une trousse à outils, qu’on peut dégainer facilement dans la vie de tous les jours. Et en plus je me disais que ça pourrait servir de munition pour des dissert’. Mais ça n’était pas du tout le coeur du projet.

Et dans les contenus que tu fais aujourd’hui, comme dans les “Êtes-vous des merdes”, il y a toujours un peu de philo ?

Ça transparait un peu dans tous les contenus. Et parfois de manière moins visible. “Êtes-vous des merdes”, ce sont des dilemmes étiques, à chaque fois. Qu’est-ce que le bien, est-ce que c’est juste, honnête, es-tu une personne vertueuse… C’est présent partout, et mon challenge est de réussir à faire un truc divertissant avec la philo en filigrane.

C’est au lycée que tu as accroché avec la philo.

Oui, mais je ne connaissais pas ça avant la terminale. Mes parents sont d’origine iranienne et sont arrivés en France quand ils étaient jeunes. Si j’avais été dans une famille avec des parents ayant suivi un cursus français, avec de la philo enseignée, peut-être que dans les discussions, à table, on en aurait parlé. Là, c’était vraiment de la découverte pure, peut-être plus que certains élèves de ma classe. C’était la première fois que j’entendais parler de ces concepts.

La philo, dans l’enseignement, n’est-elle pas une matière délaissée ?

Ça dépend beaucoup du prof. Il y a peu de matière où ça dépend autant du prof. J’ai eu la chance de tomber sur une super prof, au lycée.

Tes anciens profs de philo ont déjà vu ce que tu faisais ?

Pour la prépa je ne sais pas, mais ma prof de lycée ouais. Elle kiffe, elle a dit que c’était super, elle m’a encouragé.

Tu t’es mis de plus en plus à travailler avec des profs, d’ailleurs.

Sur les contenus académiques comme “L’Antisèche », oui. Quand c’est vraiment axé révisions, je ne connais pas les difficultés des élèves, donc c’est bien d’avoir un prof pour me dire où ils ont du mal, ce sur quoi il faut insister.

C’est plus dur, de faire du “braintertainment” sur un format audio ?

Le fait que ce soit audio, ça fait que la capacité de concentration n’est pas la même. Tu peux moins partir en délire parce qu’il n’y a pas de support visuel. Sur Youtube, je faisais toujours gaffe à ce que ma blague ne tombe pas à un moment qui coupe l’explication. Il faut toujours que l’humour soit au service de la connaissance.

On y revient mais cette question du rythme, tu l’as observée dans C’est pas sorcier ?

Oui, tu avais Jamy qui faisait son schéma, ensuite on passe à Fred qui dit un truc, ensuite ça revient. On alternait entre des phases hyper sérieuses menées par Jamy, et des phases plus détente avec Fred. C’est ça qui marchait beaucoup.

Dans le monde de demain, remplacera-t-on les manuels scolaires par Spotify et Youtube ?

Je ne me rends pas compte dans quelle mesure est-ce qu’on l’a déjà fait, ou pas. Pour une matière comme la philo, le manuel, je ne sais pas s’il sert à grand chose. Je ne me souviens pas l’avoir beaucoup ouvert. Après, il y a des matières comme les maths ou la SVT où tu ne peux t’en passer, tu es obligé de pratiquer. Ça vient surtout en complément. Le podcast, ça permet aux gens de réviser pendant qu’ils font du sport ou de la cuisine. Avant, soit tu étais devant ton manuel et tu bossais, soit tu faisais autre chose.

Toi qui fais quasiment office de prof sur Youtube aujourd’hui, tu étais un bon élève ?

J’étais bon élève, mais pas « ouf ». J’ai eu mon bac S mention bien. Je me donnais un peu. En philo, j’étais un élève assez moyen finalement. Par contre, dans les gars qui restaient poser des questions à la fin, tu me voyais souvent. Parce que ça m’intéressait sincèrement. Après, je ne faisais pas le travail nécessaire à la maison pour m’assurer de bonnes notes.

Quand on produit du contenu académique, avec les programmes qui évoluent, cela ne devient-il pas rapidement obsolète ?

Je n’ai pas cette impression. Les concepts de philo par exemple, ils n’ont pas bougé. C’est du contenu qui est hyper pérenne. C’est pour ça qu’à l’écriture, on fait attention à ne pas dater la vidéo. On ne va pas faire une vanne sur un homme politique, comme Hollande lorsqu’il était président, parce qu’au moment où il n’est plus président, ça donne un côté ancien à la vidéo. Toutes les références que tu fais, soit elles ne sont pas datables, soit elles sont très anciennes et ce sont des références cultes.

Tu ne t’es jamais dit que tu aurais aimé être prof, en fin de compte ?

C’est marrant, je me suis posé la question hier. Il y a plein de choses qui me saoulent avec la notoriété et Internet. Prof, c’est un beau métier. Et en même temps, ça a l’air terriblement dur. Mais je pense que je suis meilleur en tant que Youtubeur que ce que je pourrais être en tant que prof !

Par Jérémie Baron