« Si c’était à refaire, je ne ferais pas d’enfant »

Est-ce que vous pourriez revenir sur votre parcours de mère ?

J’ai accouché en juin 2018 d’un bébé désiré, autant par mon conjoint que moi, c’est important de la préciser, et après une belle grossesse, c’était presque parfait. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai vécu, comme n’importe quelle mère, le corps qui se remet, l’adaptation, les nuits hachées et l’allaitement. J’étais la seule et unique personne qui nourrissait mon enfant mais j’ai eu quelques difficultés, avec un REF, réflexe d’éjection fort, et ne pouvais allaiter qu’allongée ; ce qui généré beaucoup d’anxiété, j’anticipais tout, je calculais sans arrêt. J’avais choisi de ne pas travailler pendant un an. Alors que j’avais idéalisé cette période, je me suis sentie terriblement seule. Mon conjoint était là le soir mais je me sentais seule au-delà de sa présence. J’avais l’impression que personne ne pouvait comprendre ce que je traversais. Mon fils était hypotonique, il lui fallait des séances de kiné. Suite à une hospitalisation, nous nous rendus compte de son intolérance à la protéine de lait de vache. C’est son séjour à l’hôpital, selon moi, qui a été un élément déclencheur. Ce fut un choc terrible, presque post-traumatique. Je culpabilisais énormément. J’ai continué d’allaiter en suivant un régime strict sans aucune trace de lait. Entre temps, j’étais accompagnée par une travailleuse sociale qui m’a poussée à aller voir mon médecin. À ce moment-là, mon fils avait 7 ou 8 mois. Il a diagnostiqué une dépression post-partum, avec une ordonnance d’antidépresseurs à faible dose et une thérapie. Je me suis rendu compte que j’exécutais de façon robotique tout ce qui était lié à la famille, sans envie. Le temps est passé, est arrivée la pandémie. Je me suis retrouvée, sans emploi, à la maison avec un mari qui travaillait à temps plein à la maison et mon fils de même pas 2 ans. 

C’est là que vous avez verbalisé le regret ?

Oui, si c’était à refaire, je ne ferais pas d’enfant. Ce n’est pas qu’une histoire de charge mentale et de confinement mais surtout de ce que la maternité a ravivé de ma propre enfance. J’ai eu une enfance assez stricte, avec un manque d’affection criant à mes yeux. Je refuse que mon fils vive la même chose, ce qui me demande un travail acharné pour lui donner ce que je n’ai pas eu. Après les confinements, j’ai retrouvé un semblant de vie avec mon fils à la crèche. Sur les réseaux sociaux, je discutais avec quelques comptes féministes assez influents, comme Post-partum ta mère par exemple. J’ai créé le compte Instagram Le regret maternel en août 2020. J’écrivais sur ma vision de la maternité. Certains comptes me repartagent, ce qui m’a donné pas mal de visibilité. C’était le début d’une aventure incroyable. Il y a eu le fameux #leregretmaternel que je n’ai pas créé, qui a déclenché pas mal d’interviews. Je suis arrivée à 10 000 abonnés en moins d’un an, je n’y croyais pas, je ne me sentais pas forcément légitime. Puis, les éditions Larousse m’ont contacté pour me proposer  un projet de livre, un travail de longue haleine, sorti en septembre 2022.

La parole s’est donc libérée avec les réseaux sociaux mais est-ce que la société l’accepte vraiment ?

Oui ! Le mouvement #metoo a été une première étape, puis ce fameux #monpostpartum en février 2020. En ce qui concerne la société, il y a des gens qui en prennent conscience, des femmes notamment. Que la société l’accepte ou pas, il faut continuer à en parler.

Que reproche-t-on aux mères qui s’expriment sur ce sujet ?

Ce sont plutôt des injonctions et autres amalgames comme « il fallait y penser avant » ou « tu t’attendais à quoi ? », ou des reproches ou une remise en question des propos des mères. C’est fatiguant. Ecoutez-nous ! Je sais que cela peut déranger, on peut être mal à l’aise ou ne pas comprendre. Mais il faut respecter l’autre, proposer de l’aide ou alors passer son chemin. Dès qu’un sujet sur la maternité est abordé, les gens se sentent dans l’obligation de le remettre en doute. Mais je ne l’ai pas choisi, je n’ai pas décidé d’aller mal. Ce n’est pas mon enfant le problème mais la manière dont je vis la maternité. Je regrette le rôle de mère. Je pense que je ne suis pas faite pour l’être. Aujourd’hui, ce choix réveille beaucoup de choses en moi mais paradoxalement, sans cette maternité, je n’aurais pas fait tout ce travail sur moi.

Y a-t-il quelque chose à faire quand une mère le réalise ?

Le plus important est ne pas garder ça pour soi. Ce mal-être doit être exprimé et entendu. Il faut en parler à une personne de confiance. Il y a aussi la thérapie. Je sais que c’est un gouffre financier, tout le monde ne peut pas se le permettre, mais cela peut vraiment aider.

• Le regret maternel, Astrid Hurault de Ligny aux éditions Larousse